Par BlackRock Investment Institute avec la participation de Brian Deese, Responsable mondial des investissements durables de BlackRock
- Les investisseurs doivent conserver une perspective de long terme dans un contexte de volatilité des marchés ; ils doivent en particulier renforcer la résilience de leurs portefeuilles au moyen de l’investissement durable.
- Les décisions historiques qu’ont prises les États Unis, notamment une relance budgétaire de plus de 2 000 Md USD et un ensemble de mesures de la Réserve fédérale américaine, ont permis d’apaiser les marchés.
- Les chiffres publiés cette semaine devraient témoigner des nouveaux dommages infligés à l’économie par l’épidémie de coronavirus et les mesures de confinement.
Il est essentiel de garder une perspective de long terme dans un contexte de forte volatilité des marchés, qui ont connu une véritable tempête ces dernières semaines. L’une des tendances persistantes que nous observons, c’est la transition vers l’investissement durable ; il s’agit d’un changement structurel au sein des choix opérés par les investisseurs, qui se traduit par des flux continus et significatifs vers des actifs dont la résilience aux risques liés à la durabilité, tels que le changement climatique, semble plus assurée. Les investisseurs qui sont en train de rééquilibrer leurs portefeuilles, après le « sell off » qu’ont subi les actifs risqués, pourraient envisager de regarder du côté des actifs durables.
Les marchés financiers devraient connaître une vague d’investissements durables au cours des
prochaines décennies, qui transformera les économies et les secteurs d’activité au fur et à mesure que
les capitaux seront réalloués aux actifs durables. Les flux d’investissement que nous observons cette
année pourraient déjà illustrer, en version miniature, le changement majeur qui nous attend. Les fonds
durables négociés en bourse (ETF) ne cessent en effet d’attirer des actifs depuis début 2020, tandis
que les ETF traditionnels ont enregistré des sorties significatives lors du «sell-off» qui a touché le
marché (cf. le graphique ci-dessus). Les entrées nettes dans les ETF durables s’élevaient à 14 Md USD
au 24 mars, soit déjà plus de la moitié de leur total pour l’année 2019 toute entière, selon nos propres
chiffres. Certes, le total des actifs gérés au titre des ETF durables ne représente que 1 % de l’intégralité
des ETF, et les flux vers les fonds durables sont encore très faibles par rapport à ceux dirigés vers les
fonds traditionnels. Pourtant, cet intérêt qui va croissant donne un bon aperçu de ce qui pourrait se
produire à l’avenir : un changement structurel majeur en faveur de l’investissement durable, motivé par
un nouveau paradigme sociétal. Par conséquent, le rééquilibrage des portefeuilles qui intervient dans
le contexte actuel nous paraît être une réelle opportunité de remplacer certains actifs traditionnels par
des actifs durables, dans la perspective d’avantages potentiels à long terme.
Quelles performances pouvons-nous espérer des stratégies d’investissement durable sur le long terme ?
Les sceptiques soutiennent depuis longtemps que :
1) si la durabilité revêtait une véritable importance elle se refléterait déjà dans leurs valorisations, les marchés financiers étant efficients;
2) si les investisseurs se soucient de la durabilité, ils devraient être prêts à accepter des performances plus faibles en raison de la prime à payer pour les «actifs verts» ;
3) à l’inverse, les investisseurs peuvent obtenir des rendements plus élevés en compensation de la détention «d’actifs bruns» plus risqués.
Un tel raisonnement conduit à penser que l’on peut donc très bien se passer de l’investissement durable: en effet, s’orienter vers des actifs verts serait coûteux, et posséder des actifs bruns offrirait des performances futures a priori plus intéressantes. Nous ne partageons pas ce point de vue.
Pourquoi?
Les marchés financiers évaluent de façon imparfaite les informations relatives à des temps encore lointains, même lorsqu’ils ont une bonne compréhension des changements structurels en cours; il suffit de penser aux tendances démographiques à évolution lente, par exemple, telles que le vieillissement de la population et ses implications pour les prix des actifs. Lorsque sera achevée la transition vers une économie à faible intensité de carbone, où la durabilité sera alors pleinement intégrée dans les prix du marché, les actifs présentant une durabilité élevée seront selon nous plus onéreux, tandis que d’autres actifs auront vu leur prix décroître, voire auront totalement disparu. Les actifs durables devraient dégager une performance supplémentaire pendant la longue transition vers ce nouveau paradigme, en plus de démontrer une résilience plus grande face aux risques tels que les perturbations physiques provoquées par le changement climatique. De fait, conclure que l’investissement durable nécessite de sacrifier une partie des performances nous paraît relever du mythe. L’investissement durable devrait plutôt octroyer un bonus de performance au cours des années et des décennies à venir, comme nous l’expliquons dans l’étude que nous avons publiée récemment: «Durabilité : un bouleversement majeur pour l’investissement».
Cette tendance pourrait bien se concrétiser pour partie dès cette année. Nous avons en effet étudié la performance des actifs durables par le biais de l’indice MSCI World SRI Select ReducedFossilFuels depuis la fin janvier, lorsque la Chine a annoncé officiellement le début de l’épidémie de coronavirus.
L’indice a surperformé son équivalent traditionnel (MSCI World) sur la période, probablement en raison de son exposition réduite au secteur de l’énergie qui a été durement touché. Notre analyse à posteriori des données MSCI semble indiquer que l’indice a surperformé durant les «sell-offs» de mi-2015 et du dernier trimestre 2018. En outre, d’autres indices ESG globaux ont affiché une légère surperformance par rapport aux indices traditionnels, et ce sur nombre de marchés actions des économies développées au cours de la même période.
En somme, le flux d’investissement convergeant vers les actifs durables ne fait que débuter et les valorisations du marché n’intègrent pas encore les pleines conséquences de la bascule qui est en cours. Cela sous-entend qu’il existerait une surperformance à saisir durant ce qui va sans doute être une longue transition.
Environnement de marché
Face aux répercussions économiques du coronavirus, la riposte budgétaire et monétaire est en train de prendre forme alors que l’épidémie, et les actions de confinement relatives, continuent de se propager dans le monde. Les mesures historiques prises par les États-Unis la semaine dernière ont permis les premières de stabiliser les marchés. Elles devraient aussi ouvrir la voie à un rebond futur, et marqué, de l’économie et des marchés, une fois que l’ampleur et l’intensité de l’épidémie seront mieux cernées.
Actualité macroéconomique
Les mesures de confinement prises pour endiguer l’épidémie ont donné un
sévère coup de frein à l’activité économique. Il s’agit maintenant de s’assurer
que les politiques budgétaire et monétaire parviendront à compenser la baisse
des dépenses du secteur privé. À la suite des actions radicales entreprises par la
Réserve fédérale américaine (Fed), les États-Unis ont approuvé une relance
budgétaire de l’ordre de 10 % de leur PIB. Une partie importante de ce plan
d’aide sera consacrée au renforcement de l’assurance chômage, afin qu’elle
puisse couvrir près de 100 % des salaires de substitution qui seront versés au
cours des quatre prochains mois. Le Royaume-Uni a également pris des
mesures qui permettront le paiement de 80 % des salaires des travailleurs se
retrouvant au chômage partiel. L’Allemagne est en train de débattre d’une
relance budgétaire équivalente à près de 4,5 % de son PIB; ce plan
comprendrait notamment une compensation du manque à gagner induit par
les perturbations actuelles du marché du travail, au bénéfice de 2,5 millions de
travailleurs. L’Italie prépare également une série de mesures d’un montant total
d’environ 25 Md EUR, ce qui devrait porter sa relance budgétaire globale à
environ 3 % de son PIB, et celle de l’Europe dans son ensemble à environ 2 %
du PIB de la région. De son côté, le Japon envisage aussi une relance, similaire à
celle des Etats-Unis -des versements directs en espèces et un soutien aux
PME -, dont le total serait proche de 10 % de son PIB. Ces mesures sont sans
précédent dans la période de l’après-guerre, tant par leur ampleur que par la
coordination monétaire et budgétaire dont elles témoignent.
Thèmes d’investissement
1 L’activité économique au point mort
• Les mesures de santé publique prises pour lutter contre l’épidémie de coronavirus entraînent un arrêt quasi complet de l’activité économique et devraient causer une forte contraction de la croissance au deuxième trimestre.
• L’incidence durable sur l’activité, lorsque celle-ci reprendra, devrait être cependant limitée, à condition toutefois que les autorités optent pour une riposte budgétaire et monétaire massive qui permettra aux entreprises et aux ménages de se maintenir à flot.
• Les États-Unis devraient faire preuve d’une plus grande résilience que la plupart des économies développées, grâce à la part plus faible du secteur manufacturier dans leur PIB, à celle relativement élevée des dépenses de santé et à leur réponse politique vigoureuse.
• Nous prévoyons une reprise de l’activité une fois les perturbations surmontées ; l’intensité comme la durée de ces dernières restent cependant inconnues, une situation qui pourrait nuire à la consommation et à l’investissement.
• Le risque principal, selon nous, ce serait que, face à la propagation de l’épidémie, la réponse politique soit insuffisante : l’économie pourrait alors s’en ressentir durablement.
• Conséquences pour les marchés : nous recommandons de conserver des positions en ligne avec les indices de référence et de rééquilibrer les portefeuilles face au recul des actifs risqués.
2 Des mesures de soutien radicales
• Les responsables politiques américains ont annoncé une relance budgétaire de plus de 2 000 Md USD et la Fed a pris des mesures exceptionnelles afin de compenser les répercussions de l’épidémie sur l’économie et les marchés. Cet effort, qui est supérieur à celui consenti lors de la crise financière mondiale, comprend certaines des mesures que nous avions préconisées : il s’agit bien ici d’« agir directement », à savoir soulager les pressions que subit la trésorerie des ménages et des entreprises, en particulier les petites, au moyen de versements d’argent frais (cf. notre dossier spécial consacré à une riposte historique).
• La relance budgétaire est la première priorité de l’action politique : elle devra se concentrer sur le renforcement des mesures de santé publique et sur l’évitement des pénuries de liquidité grâce à un dispositif de liquidité relais. La réponse apportée par les États-Unis fait suite à une action budgétaire et monétaire coordonnée en Australie, au Canada et au Royaume-Uni, ainsi qu’à un ensemble de mesures de relance prises dans la zone euro, soutenues par des décisions monétaires.
• Les banques centrales doivent avant tout s’attacher à limiter les dysfonctionnements dans l’établissement des cours de marché, ainsi que le resserrement des conditions financières. Marchant dans les pas de la Fed, la BCE a réagi avec audace, après une première annonce peu convaincante, en lançant un programme d’achat d’obligations de 750 Md EUR. Les responsables européens pourraient également activer le mécanisme de stabilité européen avec des conditions plus souples, ce qui libérerait une capacité d’achat d’obligations encore plus importante.
• Conséquences pour les marchés : le revenu des coupons est aujourd’hui essentiel dans un monde où les rendements deviennent toujours plus faibles. Certains secteurs actions offrent un rendement des dividendes plus attractif que les obligations de qualité Investment Grade comparables.
3 Les règles de résilience des portefeuilles
• Les emprunts d’État des économies développées présentent des valorisations qui paraissent un peu élevées à la lumière de nos perspectives économiques ; ils devraient cependant toujours offrir une capacité de diversification bienvenue, même si elle se trouve réduite du fait de rendements aujourd’hui proches de ce que nous estimons être leur limite inférieure. Le récent rebond des rendements des bons du Trésor américain, qui avaient atteint des niveaux historiquement bas, montre qu’un retournement est possible.
• Mettre l’accent sur le développement durable peut être un moyen de renforcer la résilience des portefeuilles. Nous sommes convaincus que la pratique de l’investissement durable, qui est un phénomène nouveau, offrira un avantage en termes de performance dans les années et les décennies à venir.
• Conséquences pour les marchés : nous privilégions les bons du Trésor américain au sein des portefeuilles, qui offrent une meilleure protection que leurs homologues à rendement plus faible, et recommandons vivement de prendre en compte la durabilité au sein des processus d’investissement.