Béatrice Guedj, Directrice Recherche et Innovation de Swiss Life Asset Managers France “Minds ad Markets” de juillet 2019
Les marchés d’actions se sont retournés en 2018, secoués au printemps 2019, et les taux se sont effondrés, phénomène antagoniste sauf à considérer que les taux d’intérêt sont un bon proxy des anticipations de la croissance future. La probabilité d’être sur une fin de cycle, après 10 années de croissance américaine ininterrompue, n’est que plus probable chaque jour, même si l’argument de guerre commerciale est d’insuffler une nouvelle croissance par une forme d’industrialisation par substitution d’importations 1
. Ces considérations macroéconomiques pourraient paraître loin de l’immobilier, sauf qu’elles ne le sont pas. La globalisation signifie interdépendance des économies, et la guerre de Trump pourrait être l’effet papillon sur certains sous-jacent immobiliers, notamment ceux les plus exposés au secteur extérieur. Sur l’immobilier direct, les secousses de décembre et de mai dernier ont été indolores, avec plus d’appétit pour une classe d’actifs résiliente et comparativement moins volatile que les marchés cotés 2
. Sur l’immobilier coté, il semblerait que les mouvements de marché aient amplifié les divergences de
performances entre les secteurs mais également les divergences quant à l’actif net réévalué. Ces divergences paraissent difficilement soutenables dans le temps.
Performances aux Etats-Unis : points d’inflexion
Sur l’immobilier coté aux Etats-Unis, la secousse de l’automne dernier sur les marchés boursiers n’a pas épargné les grandes REITS, notamment celles spécialisées dans les secteurs les plus sujets au cycle économique dont les segments industriels, le tourisme et les bureaux 3
. Néanmoins, depuis 2019, la tendance sur les REITs américaines est à la hausse, épargnée par les turbulences du mois de mai. L’enthousiasme semble avoir été conforté par des indicateurs macroéconomiques porteurs, un taux de chômage à 3.6% et une hausse des salaires horaires de 3.2% sur un an. Toutefois, il est temps d’analyser d’autres indicateurs moins agrégés pour éventuellement déceler des points d’inflexion.
Coté résidentiel, l’absorption net de 68 000 unités et la hausse des loyers à 3.2% sur un an expliquent l’appétit pour ce segment et la bonne performance des REITs depuis le début de l’année.
Rappelons que le secteur locatif privé continue de bien se tenir a contrario du secteur du neuf, qui a marqué un fort ralentissement depuis la hausse des taux d’intérêt hypothécaires en fin d’année passée. Au T2 2019, les prix dans le neuf sont en retrait de 6.5% sur un an après 3.9% au T1 2019. Sur le marché de l’ancien, les prix ont ralenti à 3.8% après un rythme moyen de 4.4% depuis 2018 : cette moindre vigueur s’explique par la baisse des transactions (-5.4% sur un an) au bénéfice du secteur locatif.
Coté logistique, les performances (près de 100 milliards de capitalisation, pour 13 acteurs) s’envolent même si l’absorption nette pour le secteur au premier trimestre est en net ralentissement à 24 millions de m2, le niveau le plus faible depuis 2012. Le rythme de hausse des loyers sur la classe d’actif à 5% l’an en moyenne en 2018 continue de porter un scénario de croissance sur l’ensemble de la classe d’actifs. Il semblerait que la forte valorisation de ce secteur soit portée par deux croyances : 1) la logistique comme secteur substitutif du commerce ou pour reprendre l’adage « Logistic is the new retail », et 2) des anticipations d’un potentiel mouvement « off-shore » conséquence de la guerre commerciale, au bénéfice du tissu industriel de l’économie américaine. Mais sans amélioration de l’absorption nette, les anticipations pourraient vite se retourner.
Performances Européennes : points d’inflexion
Sur l’immobilier coté en Europe, les performances des REITs 2018 ont été fortement altérées comparativement à leurs homologues américaines : baisses des indices sectoriels compris entre -32% et -8% comparativement aux reculs compris entre -25% et -5% aux Etats-Unis. Les foncières britanniques restant très fragilisées par les conséquences du BREXIT (baisses comprises entre -42% et -10%), elles tirent l’ensemble de l’indice européen vers le bas.
Sans surprise, le « retail » européen a perdu plus de 30% contre – 15% aux Etats-Unis au mois de décembre 2018. La faible reprise observée depuis le début de l’année ne compense pas la perte enregistrée l’année passée.
– Les foncières de commerces britanniques continuent leur descente aux enfers, puisque l’indice global a perdu plus de 40% en 2018 et la combinaison du « retail bashing », de la baisse du pouvoir d’achat, du ralentissement anticipé de la consommation et probablement d’un « effet richesse négatif » sur le marché résidentiel, expliquent ces anticipations négatives sur le commerce britannique, et plus particulièrement sur les centres commerciaux.
– Les décotes par rapport à l’ANR vont de 20% pour la petit cap New River, à -70% pour INTU Properties, fortement exposé à des formats suprarégionaux sur le marché domestique.
– La forte décote d’INTU est impactée par la chute du cours de 40% après que Brookfield ait décidé de ne pas racheter la foncière commerciale. En juin 2018, le géant canadien s’était porté acquéreur de la foncière américaine GGP, spécialiste des malls, pour 9.25 Mrds de dollars en cash : le patrimoine urbain du portefeuille de GGP et la possibilité de repositionnement de certains actifs offrait à terme un fort potentiel. Il semblerait que Brookfield n’ait pas jugé que le portefeuille d’INTU soit assis sur une réserve foncière suffisante.
– Pour Hammerson et Capital & Regional les stars d’avant BREXIT, les décotes par rapport à l’ANR sont supérieures à 65%. Il est encore trop tôt pour repenser à un positionnement de certains des actifs détenus en portefeuille par ces deux foncières, en centre logistique, en mixed-used tel qu’observé aux Etats-Unis, mais l’amplitude des décotes pourrait faire réfléchir à terme sur des « opportunités », notamment pour les actifs en milieu urbain.
– Les REITs commerces de la zone euro (NSI, Vastned, Unibail-Rodamco-Westfield, Eurocommercial, Wereldhave) continuent de souffrir d’une forte décote sur ANR, probablement un « value call in the air » de certaines valeurs pour les investisseurs qui sauront faire la discrimination entre les segments et stratégies digitales. L’arrivée des pure players dans les métropoles, pour combiner stratégie offensive de captation du pouvoir d’achat et stratégie défensive de lutte contre la hausse du cout marginal de la reverse logistique, est probablement « l’éclair dans le brouillard ».
Le secteur résidentiel, un des plus résilients avec la santé, a été bousculé depuis le 18 juin, date d’entrée en vigueur du gel des loyers à Berlin : l’indice de performances EPRA résidentiel, composé de nombreuses foncières allemandes (Vonovia, Tag Immobilien, LEG Immobilien ou Deutsche Wohne ….) a perdu près de 5% depuis son point haut mi-juin. C’est Deutsche Wohne avec 70% de portefeuille concentré dans la capitale allemande qui a été la plus pénalisée, avec une baisse de son cours de 11% 4.
Le secteur de la logistique Européen continue de bénéficier de la même euphorie qu’aux Etats-Unis : l’indice de performance est de nouveau sur un trend haussier et a touché son niveau historiquement le plus élevé. Aujourd’hui, la performance du secteur est deux fois plus élevée que l’indice européen général avec des surcotes sur ANR de 90% pour Warehause De Pax, foncière belge, 87% pour Montea, 47% pour Caténa la Suédoise. Segro s’échange avec une surcote de 7% sur ANR tandis que la décote sur les britanniques est de -3% pour Tritax et -9% pour Hansen. Le patrimoine urbain ou péri-urbain tire la performance globale.
Toutefois, coté indicateurs macroéconomiques, le retournement de la production industrielle sur certains secteurs, notamment les biens d’équipements, l’industrie automobile et autres secteurs exportateurs appelle à la vigilance. La volatilité est de retour !