Julien Manceaux, senior economist – ING
L’année 2018 s’est achevée sur un mouvement inédit de contestation populaire dans toute la France qui a pesé sur les principaux indicateurs de croissance au cours des derniers mois.
La confiance des ménages a été particulièrement touchée, certains chiffres descendant même sous leurs niveaux de 2008. L’impact de cette crise intérieure se fera sentir dans tous les secteurs.
Nous nous attendons à une reprise au cours des prochains mois, mais la croissance du PIB ne dépassera pas 1,3 % pour cette année, un taux légèrement inférieur à celui de 1,5 % finalement enregistré en 2018.
En France, le second semestre 2018 a amené son lot de déceptions, tant sur le plan économique que politique. La cote de popularité du président s’est effondrée, de 42 % au premier semestre à seulement 23 % en décembre (source : Elabe). Cette perte de confiance s’inscrit dans le contexte de la crise des « gilets jaunes », qui a paralysé le pays lors de week-ends de fin d’année très importants pour le commerce, pesant sur la croissance plus fortement qu’attendu (voir ci-dessous). Cette crise a aussi interrompu les débats en cours sur des réformes cruciales (institutions, retraites, assurance chômage). Maintenant que le gouvernement a pris des mesures pour soutenir la poursuite de la croissance du pouvoir d’achat et pour organiser un grand débat national, les sondages semblent s’inverser : la cote de popularité du président a connu un léger rebond de 2 points en janvier, à 25 %, ce qui la place au même niveau que celle de François Hollande après 21 mois de présidence. Elle reste cependant très fragile et très dépendante du succès du débat national que le gouvernement est en train de mettre en place.
Ce grand débat pourrait avoir des vertus, cette formule ayant déjà connu des succès dans le passé : le programme politique qui a porté M. Macron au pouvoir doit beaucoup aux mois passés à sillonner la France en 2016 pour écouter ses habitants. Le débat national pourrait être un moyen de faire valider l’importance des principales réformes qu’il a identifiées il y a deux ans, notamment celui du système des retraites. Nous sommes d’avis que le chemin sera ardu et que les institutions françaises de manière générale continueront à être soumises à de fortes pressions, mais qu’il s’agit là du seul moyen de retrouver le soutien nécessaire aux réformes. De plus, cela constituera également une base pour les élections européennes, à un moment où, vu la forte défiance politique dont font preuve les Français, il paraît difficile pour les partis traditionnels de mener une campagne classique.
Il nous semble peu probable que ce débat puisse éviter une nouvelle victoire du parti d’extrême droite Rassemblement national aux élections européennes de mai, mais il pourrait aider le parti du président, LREM, à faire ses débuts sur la scène européenne, deux ans seulement après sa création en avril 2016. Ce débat pose cependant un risque majeur, celui de la « polarisation de groupe », dont a été victime Charles de Gaulle en son temps : lorsque des individus modérés se fédèrent pour débattre, les opinions exprimées par le groupe sont plus extrêmes que la moyenne des individus. En ce sens, le risque du grand débat est de polariser encore l’opinion et d’accentuer les fractures.
De plus, la fenêtre d’opportunité pour les réformes est en train de se refermer de plus en plus vite : le ralentissement économique actuel, aggravé par la crise des « gilets jaunes », va les rendre de plus en plus difficiles en 2019. En effet, sur le plan économique, la reprise attendue au second semestre 2018 ne s’est jamais vraiment matérialisée : le quatrième trimestre a été particulièrement affecté par la crise des « gilets jaunes », tandis qu’au troisième trimestre le rebond a été moitié moins fort que prévu, avec une croissance du PIB de 0,3 % par rapport au trimestre précédent. Après une première moitié de l’année déjà marquée par plusieurs semaines de grèves, notamment dans le secteur des transports en avril et mai, 2018 se termine sur une note sombre : au lieu des 2,0 % de croissance du PIB qu’on pouvait encore espérer il y a neuf mois d’ici, nous nous attendons maintenant à 1,5 % au mieux.
Compte tenu des prévisions de ralentissement de l’environnement économique en Europe en 2019 et 2020, la croissance du PIB devrait d’après nous retrouver sur ces deux années un niveau proche de son potentiel, soit 1,3 %. Si la demande intérieure devrait connaître une légère reprise, le commerce extérieur devrait en toute probabilité peser, comme c’est le cas la plupart du temps, sur la croissance. Les causes en sont d’une part une remontée de l’EUR face à l’USD au cours des deux prochaines années, et d’autre part un ralentissement du commerce mondial qui affectera la demande d’exportations françaises (voir ci-dessous). À noter que, à cet égard, toutes les prévisions sont faites dans l’hypothèse d’un Brexit négocié avec une période de transition jusqu’en 2020.
La demande intérieure commence 2019 sous le signe de l’anxiété
Le principal indice de confiance des ménages a atteint en décembre son plus bas niveau depuis octobre 2014, à 86,7. Les intentions d’achat ont ainsi poursuivi la forte baisse
mesurée en novembre pour atteindre en fin d’année leur plus bas niveau depuis juin 2013. Le deuxième changement le plus notable dans l’enquête, c’est l’opinion des ménages sur leur capacité d’épargne, qui s’était redressée au premier semestre 2018. Enfin, bien que le chômage ait continué à baisser ces derniers mois, la peur du chômage, qui a retrouvé en novembre son niveau d’il y a deux ans, a continué de s’accentuer en décembre, bien que de manière plus limitée.
L’enquête fait donc apparaître un niveau d’anxiété exceptionnel parmi les consommateurs français : leur opinion sur leur capacité d’épargne n’a jamais été aussi négative en 2008 ou 2009. Pourtant le ralentissement économique actuel est sans commune mesure avec la crise d’alors, et le pouvoir d’achat par tête a augmenté en 2018 de 1,4 % (source : Banque de France), après une hausse cumulée entre 2013 et 2017 certes faible (3,7 %, deux fois moins que la croissance du PIB réel), mais positive.
Cette anxiété aura cependant un impact durable sur la consommation, bien après que le choc de court terme de la crise des « gilets jaunes » ait été digéré. Les dépenses des ménages étaient déjà en baisse en novembre, et les intentions d’achat en décembre indiquent clairement une poursuite de cette tendance. La consommation privée pourrait donc se contracter légèrement au quatrième trimestre 2018, ce qui conduirait sur l’année à une croissance de la consommation privée de 0,9 %, la plus faible depuis 2014. En 2019, la consommation privée devrait connaître un certain rattrapage grâce à la baisse des prix de l’énergie, à la baisse du chômage et à la hausse du pouvoir d’achat – la Banque de France prévoit un rebond de 1,8 % cette année. Cependant, nous pensons que l’inquiétude ambiante devrait stimuler l’épargne plutôt que la consommation dans les mois à venir, ce qui pourrait tempérer ces éléments positifs pour la consommation. Nous avons donc révisé nos prévisions de croissance de la consommation privée de 1,5 % à 1,1 % cette année, tandis que le chômage devrait reculer à 8,5 %. 2019 devrait en effet être, après 2018, la deuxième année de baisse du chômage depuis le début de la crise (toutes catégories confondues, donc hors effet des emplois aidés).
À l’heure actuelle, l’investissement des entreprises est l’un des derniers facteurs de dynamisme de la demande intérieure. Les enquêtes auprès des entreprises montrent que, en dépit de perspectives économiques assombries, le niveau d’utilisation des capacités n’a pas diminué de manière significative au quatrième trimestre, et que les carnets de commandes à l’exportation restent bien remplis.
L’effet de rattrapage dans le secteur automobile devrait également soutenir l’industrie manufacturière en 2019 : même si nous ne pensons pas que les ventes de voitures puissent retrouver de sitôt leur niveau de l’été 2018, dans la mesure où les prix des voitures diesel se trouvent durablement affectés par les nouvelles normes européennes, des marges de progression existent tout de même. La croissance de l’investissement des entreprises ne devrait donc ralentir que légèrement en 2019, à 3,5 %. Malgré la faiblesse des taux d’intérêt, l’investissement des ménages devrait rester modéré vu le contexte d’inquiétude, après un second semestre 2018 déjà très faible. C’est pourquoi nous prévoyons un ralentissement de la croissance de l’investissement de 2,8 % en 2018, à 2,5 % en 2019 et à 2,2 % en 2020.
Enfin, la croissance du commerce mondial devrait décélérer à nouveau en 2019 sous l’effet du ralentissement économique aux États-Unis et en Chine et après que les exportations allemandes aient atteint un plus haut. Les exportations nettes françaises devraient encore peser sur la croissance en 2019 et 2020, alors qu’en 2018 elles avaient profité de la faiblesse de la demande intérieure de biens importés et d’une demande extérieure relativement forte malgré la vigueur de l’EUR (en dehors du rapport EUR/USD, le taux de change effectif de l’EUR a atteint un sommet cette année).
Une discipline budgétaire mise à mal au mauvais moment
Avec la conjonction d’une croissance plus faible et d’un déficit plus élevé, il est peu probable que le déficit de la France en 2019 soit inférieur à 3 %. Le budget 2019 devait en effet déjà être affecté par la reprise de la dette de la SNCF et la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité en baisse de charges. Il devait ainsi déjà s’établir à 2,9 %, tout proche de la limite des 3%.
Les mesures supplémentaires prises dans le cadre de la crise des « gilets jaunes », couplé à une croissance plus faible, devrait mener à un dépassement, avec un déficit à 3,3 % et une dette avoisinant les 100 %. Néanmoins, nous estimons que la trajectoire de réduction sera maintenue. Au cours des prochains mois, le gouvernement devrait détailler des mesures correctives pour réduire les dépenses publiques. Nous maintenons donc une prévision de déficit inférieure à 3 % en 2020, à savoir 2,9 % au lieu des 2,6 % prévus précédemment.
Si le choc ne devrait être que temporaire, le moins que l’on puisse dire est qu’il survient au mauvais moment au vu du contexte européen. L’Italie a en effet été contrainte de revoir son budget pour éviter une nouvelle procédure de déficit excessif, procédure que la France elle-même n’a officiellement quittée qu’en juin dernier. Les deux situations sont encore loin d’être comparables puisque même l’accroc à la discipline budgétaire de 2019 ne remet pas en cause la trajectoire de la dette publique française, appelée à diminuer dans les années à venir. Si nous estimons que le débat autour d’une nouvelle procédure de déficit excessif à l’encontre de la France est largement exagéré, les positions françaises sur la réforme de la zone euro s’en voient tout de même affaiblies. Tant que M. Macron n’aura pas démontré que la France peut se réformer, le reste de ses partenaires européens, en particulier les pays du nord, ne seront pas disposés à souscrire à ses idées de partage de risques ou de transferts fiscaux entre membres de la zone euro. Les premiers pas limités sur le budget de l’UE et l’Union bancaire, approuvés en décembre par le Conseil européen, et qui ont répondu à certaines des demandes françaises, pourraient donc être les derniers avant longtemps.