Par Eric Bleines, Directeur général de Swiss Life Banque Privée
Quels événements ont rythmé les marchés ces dernières semaines ?
Eric BLEINES : C’est très clairement l’effet ChatGPT qui a tiré les bourses le mois dernier : le cours des sociétés censées profiter de l’essor de l’intelligence artificielle générative ont flambé. A commencer par Nvidia, qui s’attend à une croissance très forte de la demande de ses composants pour satisfaire le développement de l’IA. En Europe, l’équipementier des fabricants de semi-conducteurs, ASML a, dans une moindre mesure, bénéficié de cet effet. Au contraire, les entreprises qui pourraient être affectées par cette technologie – certains analystes, pour des raisons discutables, citent Teleperformance, Publicis ou encore CapGemini – reculent en Bourse. Cette réaction des marchés a un air de déjà-vu : on avait constaté le même engouement aux débuts de la vague du bitcoin ou du métavers. L’exemple d’internet montre pourtant bien que ces percées technologiques prennent souvent plus de temps que prévu et ne profitent pas nécessairement aux acteurs que l’on escomptait. En dehors de ces valeurs, très présentes dans le Nasdaq qui progresse de 5,8 % en mai (dividendes non réinvestis), le reste de la cote se replie : l’EuroStoxx50 perd 3,2 % et le CAC 40, 5,2 %. Les investisseurs ont eu tendance à prendre leurs profits après les bons résultats publiés par les entreprises au premier trimestre.
Sur un plan macroéconomique, qu’est-ce qui a compté ?
Eric BLEINES : L’économie américaine montre des signes de ralentissement. L’inflation hors énergie semble se calmer. Mais il n’est pour autant pas sûr que le resserrement monétaire soit complètement terminé. Le secteur des services pourrait prendre le relais de l’industrie et faire réaccélérer l’inflation. Les créations d’emplois aux Etats-Unis restent également très dynamiques. Ce contexte conduit les banquiers centraux à rester fermes : les taux ne devraient pas recommencer à baisser avant 2024. Début juin, les banques centrales canadienne et australienne ont même procédé, de manière inattendue, à de nouvelles hausses. Ce contexte incite à une certaine prudence. Au rang des bonnes nouvelles, on peut toutefois souligner qu’outre-Atlantique, la crise bancaire s’estompe et que les négociations sur le plafond de la dette ont abouti sans crise institutionnelle.
Le moteur chinois est-il au rendez-vous ?
Eric BLEINES : Le redémarrage chinois est plus poussif qu’attendu. L’économie n’a pas bénéficié d’aides publiques aussi massives qu’aux Etats-Unis ou en Europe. En outre, la pandémie a causé un grand nombre de décès. Cela pèse sur la consommation. Une dynamique intéressante semble tout de même émerger autour de l’automobile : les constructeurs chinois ont récemment renouvelé leurs gammes en profondeur et présenté des véhicules électriques innovants en termes de design de l’habitacle et à des prix avantageux. Ces annonces ont pénalisé les titres des constructeurs européens.
Quelles sont les perspectives pour les prix de l’énergie ?
Eric BLEINES : L’Arabie Saoudite a annoncé une réduction de sa production de pétrole pour soutenir les cours. Mais dans le même temps, la demande pourrait être moindre aux Etats-Unis et en Chine, et la Russie continue de casser les prix lorsqu’elle exporte sa production dans des pays émergents comme le Brésil ou la Turquie. Les prix du gaz, quant à eux, ont baissé avec l’arrivée des beaux jours, mais pourraient à nouveau déraper les deux prochains hivers car les capacités de stockage supplémentaires du gaz naturel liquéfié ne seront prêtes qu’en 2026.
Dans ce contexte, comment avez-vous ajusté les portefeuilles ?
Eric BLEINES : Nous les avons allégés afin de disposer de liquidités à réinvestir si les cours baissent. Nous avons par exemple pris des profits, dans les PEA et les mandats dynamiques, sur Airbus, Microsoft et Air Liquide. Dans les PEA, nous avons acheté STMicroelectronics : peu concerné par l’essor de ChatGPT, ce fabricant de semi-conducteurs a vu son cours baisser et redevenir intéressant au regard des perspectives que lui offre la transition automobile à venir. Côté obligataire, nous avons renforcé nos positions sur la dette d’entreprises offrant une bonne visibilité sur le remboursement : nous avons investi dans un fonds de green bonds – dont les montants levés sont fléchés vers des projets verts.