Steve Waygood, Directeur de l’investissement responsable chez Aviva Investors
Les assureurs, décideurs politiques et autorités de réglementation peuvent collaborer pour gérer les risques associés au réchauffement climatique et encourager l’investissement durable. Explications de Steve Waygood.
Le secteur de l’assurance est particulièrement exposé au pouvoir destructeur des météos extrêmes. En tant que propriétaires d’actifs, les assureurs ont aussi capacité de faire la différence. En travaillant ensemble et en appelant les décideurs politiques et les autorités de supervision à agir, l’industrie peut contribuer à gérer collectivement ce risque existentiel.
L’effet du réchauffement climatique sur le secteur des assurances est évident. Rien qu’en 2017, les pertes économiques causées par les catastrophes naturelles mondiales ont dépassé les 330 Md$ (267 Md€).[1] Les assureurs peuvent contribuer à renforcer la résistance face aux effets du réchauffement climatique à travers le monde, mais il existe encore des lacunes importantes en matière de protection et celles-ci ne feront qu’augmenter. Certains acteurs du secteur suggèrent qu’un réchauffement supérieur à quatre degrés Celsius au cours de notre siècle rendrait le monde « inassurable[2] ».
En tant qu’investisseurs à long terme, les assureurs doivent protéger et développer leurs investissements. Ils doivent aussi jouer leur rôle dans le cadre d’une transition en douceur vers un « réchauffement limité à deux degrés » en tenant les promesses faites aux clients.
Le secteur de l’assurance a besoin de mesures réglementaires
Il est temps pour les autorités de réglementation d’utiliser tous les outils à leur disposition pour faire face aux risques que cela représente pour la stabilité financière du secteur de l’assurance.
Actuellement, selon Solvabilité II, l’objectif principal de la réglementation et du régime de surveillance de l’assurance et de la réassurance de l’UE est « la protection adéquate des assurés et des bénéficiaires[3] ». Cependant, Solvabilité II pourrait aller plus loin pour souligner l’importance du risque climatique à long terme et encourager les investissements durables, et donc la croissance à long terme.
En outre, permettre aux États membres individuels d’introduire des mesures pour encourager les investissements verts risque de saper le marché unique de l’assurance. En effet, des règles différentes s’appliqueraient en fonction des assureurs et de la localisation de leur siège social.
Pour y remédier, toute modification apportée par l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP) devrait avoir pour objectif d’inscrire les trois piliers de Solvabilité II dans la durabilité.
À l’heure actuelle, Solvabilité II encourage peu les assureurs individuels à inclure le risque climatique dans leurs référentiels de risque ou dans leurs évaluations internes du risque et de la solvabilité (ORSA) dans le cadre du pilier 2. Elle n’encourage pas non plus les assureurs à divulguer d’informations pertinentes relatives au climat dans le cadre du pilier 3. Le réchauffement climatique étant un risque externe à plus long terme, il ne sera pas nécessairement explicitement repris dans le contenu que les assureurs choisissent d’inclure dans leurs évaluations internes du risque et de la solvabilité (ORSA).
Encourager les investissements durables
Les assureurs de l’UE représentent, ensemble, un capital significatif pour les investissements potentiels dans les emplois et la croissance durables. Ainsi, la Commission européenne (CE) a déclaré : « Les assureurs européens sont les plus grands investisseurs institutionnels des marchés financiers européens. Il est crucial que la réglementation prudentielle ne limite pas indûment l’appétit des assureurs pour les investissements à long terme, tout en reflétant correctement les risques. [4]»
Il existe plusieurs façons pour la CE d’aborder les sujets liés à la protection des assurés et des bénéficiaires contre le risque climatique et à l’encouragement à investir dans des projets durables à long terme.
Pilier 1 – Exigences financières
Depuis l’introduction de Solvabilité II, la formule standard pour calculer les exigences de capital a été simplifiée pour certains investissements dans les infrastructures. D’autres améliorations doivent être apportées afin de mieux encourager les investissements durables pour l’emploi et la croissance. À ces fins, il convient de :
1. S’assurer que l’AEAPP, dans le cadre de son mandat d’opinion, examine la manière dont le système actuel décourage les investissements dans le financement vert. La CE doit demander à l’AEAPP d’examiner les cas de charges différentielles de capital pour les investissements plus et moins durables, en utilisant la taxonomie qu’elle élabore actuellement comme guide. Cette taxonomie devrait aboutir au développement d’une terminologie claire, cohérente et homogène. Les besoins en capital devraient intégrer une approche prudentielle prospective, qui tiendrait compte des dernières recherches scientifiques sur l’impact du réchauffement climatique.
Les résultats de cette analyse pourraient servir de base au recalibrage du référentiel de Solvabilité II lors de sa revue en 2021.
2. Solvabilité II propose le principe de la personne prudente, un ensemble d’exigences qualitatives servant à régir les décisions d’investissement et l’allocation d’actifs. Au cours de la revue de 2021, la CE devrait examiner comment le principe de la personne prudente pourrait être utilisé pour encourager un investissement plus important dans les secteurs durables et réduire les investissements non durables au fil du temps, conformément aux objectifs fixés. Au final, il faudrait encourager la transition gérée de l’économie de l’UE vers un scénario de deux degrés ou moins.
Pilier 2 – Gouvernance et supervision
Ce pilier devrait être révisé pour prévoir l’intégration proportionnelle du risque climatique dans les évaluations réalisées par les compagnies d’assurance (sur la base de leurs informations relatives au TCFD). À ces fins, il convient de :
1. Demander à l’AEAPP de revoir ses orientations actuelles en matière de lignes directrices ORSA et d’ajouter un chapitre aux règlements délégués de Solvabilité II lors de la revue de 2021. Il expliquerait que les assureurs devraient envisager d’intégrer le risque climatique dans leurs évaluations à plus long terme le cas échéant.
2. Demander à l’AEAPP de travailler avec les autorités de surveillance nationales et les experts en risque climatique pour développer un éventail de scénarios clés, dans le cadre de tests de résistance au climat. Les assureurs pourraient les utiliser afin d’évaluer les risques auxquels ils sont exposés. Ce processus devrait s’appuyer sur la planification du scénario TCFD actuellement menée par le secteur des assurances sur une base volontaire, et la transformer en tests de résistance intégrés au cœur du régime prudentiel. L’Autorité prudentielle britannique (UK Prudential Regulation Authority) a souvent exprimé le souhait que les assureurs intègrent plus largement les risques climatiques dans les ORSA et Solvabilité II.
Pilier 3 – Reporting et informations à fournir
Les assureurs européens devraient être mandatés pour divulguer le risque climatique dans le cadre des informations à fournir relatives au pilier 3 :
1. Parallèlement au travail plus large entrepris au sein de la CE pour définir et catégoriser la terminologie « verte », l’AEAPP devrait exiger des assureurs qu’ils fournissent des rapports sur les actifs conformes à la taxonomie déterminée par l’UE.
2. La CE devrait envisager d’intégrer proportionnellement les recommandations du TCFD dans le régime de reporting Solvabilité II par le biais d’amendements au règlement délégué de Solvabilité II et des lignes directrices de l’EIOPA. Ces amendements pourraient être modélisés sur l’article 173 de la France. Il impose aux investisseurs de rendre compte de la manière dont les considérations relatives au réchauffement climatique sont intégrées dans leurs politiques d’investissement. Ces mesures doivent être prises parallèlement au déploiement d’efforts plus vastes visant à intégrer les recommandations du TCFD dans les réglementations européennes en matière de reporting.
Conclusion
Le secteur de l’assurance devrait s’attacher à encourager les décideurs politiques et les autorités de supervision à corriger l’échec du marché en matière de changement climatique et à faciliter la transition vers un « réchauffement limité à deux degrés ». Ce processus exigera que la CE, le Conseil, le Parlement européen, l’AEAPP et les autorités de supervision nationales travaillent en étroite collaboration avec les parties prenantes pour introduire ces évolutions.
En outre, ces derniers devraient viser le niveau de réglementation le plus approprié pour les autorités de supervision et les assureurs. Ces différentes interventions pourraient nécessiter la modification de la directive Solvabilité II, ou du règlement délégué de la CE, qui pourrait faire partie de la revue de divers éléments de la directive Solvabilité II, prévue par la CE entre 2018 et 2021, ou des orientations émises par l’EIOPA à l’attention des autorités de surveillance nationales.
Ces recommandations relatives à la directive Solvabilité II devraient être mises en œuvre parallèlement à des efforts plus vastes visant à intégrer les recommandations de la TCFD dans toutes les réglementations européennes en matière de reporting, y compris dans d’autres secteurs pertinents, notamment la banque et la gestion d’actifs.
Les présentes propositions ne constituent en aucun cas le dernier mot pour régler ce problème. D’autres idées et voix sont essentielles pour trouver et construire des solutions efficaces. En tant qu’assureurs et investisseurs, nous sommes dans l’œil du cyclone. Au-delà d’une grande perspicacité sur la question, nous avons l’obligation vis-à-vis des actionnaires et de la société de plaider en faveur d’un régime réglementaire prudentiel adapté au risque climatique.