Par Alexandre Hezez, stratégiste Groupe Richelieu
Les efforts visant à contenir l’épidémie de
coronavirus en Europe ont brutalement
interrompu la croissance économique qui
se profilait en 2020. L’Italie et l’Espagne
sont les plus durement touchées. La
France a dû également imposer des
mesures de confinement draconiennes.
Le confinement à des degrés divers et le
chômage de masse ont provoqué un choc
négatif de demande. Nous assistons à une
diminution de la demande globale
(consommation des ménages +
investissements des entreprises +
exportations de produits) du fait de
l’obligation de rester chez soi et de la
réduction du pouvoir d’achat (chômage
partiel, perte d’emploi, etc..). Les individus
ne peuvent plus consommer et les
entreprises n’investissent plus. La crise de
2008 avait une origine financière. La crise
actuelle, est d’abord sanitaire.
L’Europe va être économiquement très
impactée par la crise sanitaire. Nous
estimons que cela a provoqué une
contraction de 3 % du PIB au premier
trimestre et entraînera une nouvelle
baisse de 7 % au deuxième trimestre. La
profondeur de la récession sera au moins
aussi importante que pendant la crise
financière mondiale de 2008, et nous
pensons que le risque de cette projection
est à la baisse.
Chaque mois de confinement coûterait
entre 2 % et 3 % du PIB.
Sur l’année 2020, l’Allemagne pourrait
faire face à une récession économique de
grande ampleur avec un recul de son PIB
de -6,8 %, la France de -5 % et l’Italie de
-7 %.
La France, tout comme l’Allemagne, fait
partie des plus gros pays exportateurs de
biens et de services (respectivement 8ème
et 4ème au classement mondial). Si ces 2
pays ne sont pas les plus fragiles, ils sont
donc particulièrement exposés à la fois à
la perturbation de la chaîne
d’approvisionnement et à la faible
demande mondiale. La BCE estime que
chaque mois de confinement coûterait
entre 2 % et 3 % du PIB.
La Banque Centrale Européenne a sorti
son bazooka monétaire. Si la BCE apparaît
comme une institution avec des capacités
illimitées, Christine Lagarde ayant rappelé
qu’il n’y avait pas de limite à son
engagement, elle ne peut pas à elle seule
maintenir l’économie à flot.
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En complément, les réponses politiques de
2020 semblent nettement plus rapides et
adaptées que celles de la Grande
Dépression (assouplissement de la banque
centrale, relance budgétaire, certains
reculs tarifaires potentiels, assouplisse-
ment réglementaire au moins tempo-
rairement, etc…). Des plans de soutien
(mesures de chômage partiel) et de relance
massifs sont nécessaires. Le problème
auquel les Etats sont confrontés reste celui
du niveau d’endettement.
Le graphique ci-dessous décrit les
politiques fiscales mises en place dans le
monde début avril. Il semble évident que
certains pays comme l’Italie ont une
capacité de réaction continue (source
Raymond James).
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L’Eurogroupe peine à trouver une solution
à une quadrature du cercle européen. Une
première solution envisagée serait l‘octroi
de dettes à certains Etats. Concrètement, il
s’agirait de prêts qui contribueraient à
alourdir l’endettement des pays
demandeurs… une solution prônée par les
plus « frugaux ». La deuxième solution qui
peine à émerger serait une mutualisation,
idée soutenue par la France et les pays du
sud de l’Europe.
La question s’était déjà posée en 2010,
2011 et 2012 lors de la crise souveraine en
Europe. Les nombreuses tergiversations
avaient alimenté une perte de confiance de
la zone euro. Le « haircut » grec avait
potentiellement mis en place une prime de
défaut sur les autres Etats les plus fragiles
et mis en doute la capacité de solvabilité
des banques des pays du sud.
La zone euro avait finalement trouvé un
compromis et profité du soutien sans faille
de Mario Draghi et de la crédibilité acquise
de la Banque Centrale. Des outils concrets
– non sans mal – avaient été mis en place
avec le Fonds Européen de Stabilité
Financière (FESF) et le Mécanisme
Européen de Stabilité Financière (MESF)
pour combattre la crise de la dette publique
dans la zone euro.
Le Mécanisme Européen de Stabilité avait
remplacé ces outils en 2012. La Cour
constitutionnelle allemande avait validé le
dispositif avec certaines réserves après
d’intenses négociations. Il a pour but de
fournir une aide financière aux Etats
membres qui connaissent ou risquent de
connaître de graves problèmes de
financement. Il est LE dispositif européen
de gestion des crises financières de la zone
euro au sein du Pacte budgétaire européen.
Il permet d’aider sous conditions, des États
en difficulté et de participer à des
sauvetages de banques privées pour
essayer de limiter les taux d’intérêt des
dettes publiques en zone euro. C’est donc
tout naturellement que certains pays dont
la France demandent son activation :
« Quand on a prévu un instrument pour la
crise, il me semble sage d’y recourir sans
condition » (Bruno Le Maire).
Certes, les conditions du financement du
MES seront allégées dans l’accord mis en
place par l’Eurogroupe cependant, le
problème (parce qu’il y en a toujours un…)
réside dans le fait que les prêts accordés
au travers de ce mécanisme restent des
emprunts qui s’additionnent aux dettes des
pays demandeurs.
En sortie de crise, cela fragiliserait non
seulement le pays mais le mettrait sous
tutelle de l’Europe. On comprend dès lors
que l’Italie soit réticente à plusieurs égards :
Sa capacité future d’emprunt
Sa nécessité de mettre en place un plan
de relance d’envergure
Sa politique intérieure qui raviverait
le populisme et le sentiment anti-
européen.
Cette crise alimenterait la rancœur entre
États membres et renforcerait leurs
divergences. L’augmentation de la dette
pèserait durablement sur les comptes
publics et limiterait la marge de manœuvre
budgétaire future de manière certaine.
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La situation est critique. Si le MES s’avère
insuffisant, le prochain filet de sécurité
viendrait du programme d’opérations
monétaires sur titres (Outright Monetary
Transactions, OMT) de la BCE, créé aussi
en 2012, mais jamais utilisé.
À la demande du gouvernement d’un pays,
et sous réserve de certaines conditions
(comme un programme du MES), la BCE
pourrait acheter massivement les
emprunts d‘États d’un pays sur le marché
secondaire. Le partage du risque et le
caractère conditionnel sont toutefois des
obstacles significatifs. C’est pourquoi
cette solution ne sera adoptée qu’en
dernier ressort pour éviter l’effondrement
du marché de la dette souveraine d’un
pays. Et donc, une fois la crise déclenchée.
Les achats d’actifs de la Banque Centrale
Européenne limitent les rendements et
montrent qu’un soutien continu est
nécessaire pour éviter une crise financière.
En mars, la BCE a acheté 51 milliards
d’euros dans le cadre de son programme
d’achats, soit un rythme 2 fois supérieur à
celui de janvier et février. Elle s’est
concentrée sur les obligations d’Etats et
en particulier les spreads italiens (pour
12 milliards d’euros).
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Par ailleurs, une fois les dettes accumulées
et d’ici quelques mois voire plusieurs
années, se posera la question non
seulement du remboursement mais de la
baisse (hypothétique) du bilan de la BCE ou
des réinvestissements qu’elle opérera.
D’où la question à 2 250 milliards (montant
de la dette italienne !) : comment un pays
peut contenir une crise sanitaire sans
précédent, sans augmenter sa propre
dette ?
Les solutions proposées en dehors de la
BCE auront un coût à long terme, à savoir
un endettement plus lourd, de sérieux
problèmes budgétaires et des tensions
sociales et politiques.
Certains Etats européens, dont la France et
l’Italie, ont dernièrement demandé à
l’Allemagne et certains pays du nord de
l’Europe la mutualisation de certaines
dettes face aux conséquences
économiques de la pandémie. Les
discussions restent difficiles sur la création
d’un autre instrument destiné à relancer
l’économie européenne après l’épidémie.
Le président de l’Assemblée Nationale
française, Richard Ferrand, et son
homologue allemand, Wolfgang Schäuble
plaident dans une tribune pour “plus de
solidarité et d’intégration financière” en
Europe face à la crise du coronavirus.
Beaucoup plaident pour un recours à un
emprunt européen pour faire face à la crise
du coronavirus.
Cette mutualisation, sous la forme de
« coronabonds », est fortement rejetée par
l’Allemagne, les Pays-Bas et d’autres pays
du nord, plus vertueux sur un plan
budgétaire. Pour l’instant, ces eurobonds
sont inacceptables. La mise en place
d’eurobonds constituerait un « saut
fédéral » trop substantiel. Et pourtant, cette
solution apporterait peut-être de la
confiance et de la sérénité vis-à-vis de la
zone euro.
La publication des résultats finaux du PMI
en Europe aujourd’hui a donné un premier
aperçu de la façon dont les mesures de
confinement plongent les économies dans
de profondes récessions. Et ce sont les
pays les plus fragiles économiquement qui
sont touchés.
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Une nouvelle fois, grâce à la crise de 2011,
des outils sont à disposition et peuvent être
utilisés à discrétion sans intervention du
parlement européen, des parlements
nationaux ou d’autres organismes étatiques.
Mais ce ne sera pas suffisant compte tenu
de l’ampleur de la crise de l’économie et du
rebond souhaité.
Les gouvernements et la BCE ont des
marges de manœuvre en cas de nouvelle
dégradation en Europe. Certaines réponses
doivent être apportées avant une autre
crise… « Nous savons tous que durant cette
crise, nous avons besoin de réponses
rapides et nous ne pouvons prendre deux ou
trois ans pour inventer de nouveaux outils »
a soutenu la présidente de la Commission
européenne, Ursula Von der Leyen.
Le prochain budget à long terme de l’UE doit
être un instrument clé du plan de relance
pour affronter les graves conséquences
économiques de la crise sanitaire. Une forme
de solidarité doit nécessairement se dessi-
ner mais elle doit rester ciblée.
Le message de Christine Lagarde est clair
dans une tribune publiée dans le Monde ce
9 avril 2020 : « Les gouvernements
européens doivent être côte à côte pour
déployer ensemble des politiques face à un
choc commun ».
Un alignement des politiques budgétaires et
monétaires, et l’égalité de traitement face au
virus, sont les meilleurs moyens de protéger
notre capacité productive et l’emploi, en vue
de retrouver des taux de croissance et
d’inflation soutenables une fois que la
pandémie aura pris fin.
De source diplomatique, la réponse
européenne doit s’orienter sur trois axes
principaux : jusqu’à 240 milliards d’euros de
prêts du fonds de secours de la zone euro,
un fonds de garantie de 200 milliards
d’euros pour les entreprises et jusqu’à 100
milliards pour soutenir le chômage partiel.
Une solution sera trouvée mêlant les intérêts
à court terme et les défis à long terme. La
mise en place d’un fonds de reconstruction
ciblé sur une croissance plus verte et plus
numérique, voulu par la Banque Centrale
Européenne peut permettre notamment la
convergence des points de vue et des
intérêts de chaque pays de la zone euro.
S’ils sont maniés en temps opportun et avec
détermination, tous ces outils et projets à
venir peuvent non seulement aider à
surmonter la crise et à maintenir l’unité de la
zone euro, mais aussi à dessiner une Europe
post-covid 19 et une économie tournée vers
la confiance et l’investissement.
Quitte à se répéter à chaque fois que nous
parlons d’Europe : « l’Europe se fera dans les
crises et elle sera la somme des solutions
apportées à ces crises » écrivait Jean Monet
dans ses mémoires. L’occasion est trop belle
aujourd’hui pour vérifier cette maxime.