Par CHRISTOPHE DONAY – Responsable de l’allocation d’actifs et de la recherche macroéconomique – Pictet Wealth Management
Les actions pourraient avoir du mal à progresser à court terme, sachant que les bonnes nouvelles sont déjà largement intégrées, alors que les facteurs techniques reflètent un paysage plus morose.
L’évolution de l’économie mondiale et des marchés financiers est influencée par deux forces antagonistes, avec d’un côté les tensions commerciales et un cycle économique vieillissant, soit des facteurs qui sapent la confiance et freinent l’investissement des entreprises, et de l’autre des banques centrales qui font tout ce qui est en leur pouvoir pour prolonger l’expansion.
Après une première baisse des taux d’intérêt fin juillet, la Réserve fédérale américaine (Fed) pourrait procéder à un deuxième abaissement de 25 points de base (pb) avant la fin de l’année. De même, la Banque centrale européenne (BCE) devrait annoncer un vaste programme de détente en septembre, avec la possibilité d’un nouvel assouplissement quantitatif. Le virage accommodant des banques centrales s’est traduit par une chute des taux sur toute la longueur de la courbe et un nombre record d’obligations à rendement négatif. Les emprunts d’Etat constituent certes toujours une protection au sein des portefeuilles, mais, avec des rendements orientés à la baisse (voire négatifs) dans un contexte où les taux pourraient rester durablement bas, leur coût pour les investisseurs augmente.
Cela étant, la capacité des banques centrales à prolonger l’expansion en
cours paraît restreinte, sachant que les taux, nominaux et réels, sont
bas et que leur bilan est déjà tendu.
En outre, les rachats d’actifs massifs pourraient bientôt montrer leurs limites, obligeant les autorités monétaires à adopter une nouvelle approche (voir l’article «Les nouvelles politiques monétaires face à des défis inédits»).
Mais d’autres facteurs pourraient s’avérer encore plus déterminants pour les actifs risqués au cours des mois à venir, à commencer par la durée incertaine de la «trêve commerciale» entre Pékin et Washington. Nous établissons à 60% la probabilité que cette trêve fragile perdure, avec la possibilité d’étincelles périodiques à l’approche des élections présidentielles américaines et de droits de douane supplémentaires. Le risque d’une rupture définitive des relations commerciales nous semble moindre (35%), et la possibilité d’une levée des taxes douanières et des restrictions frappant les sociétés technologiques chinoises plus faible encore (5%).
Les tensions commerciales persistantes, qui contribuent au ralentissement de la dynamique économique mondiale, ont par ailleurs ébranlé la confiance des entreprises. Et si nous ne percevons pas de risque de récession mondiale au cours des douze mois à venir (les salaires et les matières pre-
mières restent sous contrôle), force est de constater que l’activité du secteur manufacturier se contracte à l’échelle mondiale, et avec elle, l’investisse- ment des entreprises. Le commerce international fléchit lui aussi. Dans ce contexte, il paraît peu probable qu’un statu quo sur le front des taxes douanières suffise à raviver la croissance mondiale ces prochains mois.
Les facteurs techniques semblent eux aussi justifier une vision pessimiste des actions, d’autant que le récent rallye a été tiré par un nombre relativement faible de titres et de secteurs. L’analyse montre que les actions américaines sont sensibles à l’évolution des rendements du Trésor. Le spread entre le rendement des bénéfices de l’indice S&P 500 et celui des obligations du Trésor américain à 10 ans se maintient dans une bande relativement étroite depuis 2009, mais cet équilibre est menacé par la chute des rendements obligataires. Pour le préserver, les bénéfices devront augmenter ou les prix baisser. Au vu des prévisions de bénéfices timides (un pourcentage record de 75% des sociétés de l’indice S&P 500 ont émis des prévisions négatives) et des valorisations élevées, le mouvement risque bien de se faire au niveau des prix.
De manière générale, nous restons prudents à l’égard des actions, une grande partie des bonnes nouvelles paraissant d’ores et déjà intégrées dans les cours. En effet, les attentes de baisse des taux par le marché ont été excessives et l’écart de rendement entre les bénéfices et les obligations reflète des valorisations généreuses. Compte tenu de l’absence de visibilité, les actions pourraient évoluer dans une marge de fluctuation restreinte – et les marchés ont déjà poussé les actions vers le haut de cette fourchette.