Par Christophe Donay, Stratège en chef, Responsable Asset Allocation & Macro Research, Pictet Wealth Management
Malgré le ralentissement économique observé au premier trimestre 2019, le rebond des marchés boursiers a surpris par son ampleur, ramenant les valorisations aux niveaux atteints avant la correction du quatrième trimestre 2018.
Puisque la phase d’expansion du cycle économique a dix ans, les investisseurs sont confrontés à une question clé : doivent-ils être plus défensifs dans leur allocation d’actifs ou doivent-ils plutôt tenter de jouer une poursuite du rallye boursier ?
Deux types d’investisseurs se confrontent.
D’une part, certains investisseurs, notamment les investisseurs institutionnels, ne sont pas convaincus par le rebond et sont, au mieux, restés neutres dans leur allocation tandis que la sortie des fonds d’actions américaines a atteint près de 40 milliards de dollars au premier trimestre. C’est le « pain trade » personnifié.
D’autre part, on trouve des investisseurs qui, malgré la hausse des valorisations et les révisions à la baisse des estimations de croissance des bénéfices pour 2019, ont bénéficié du rebond en augmentant leur exposition aux actions.
Les deux types d’investisseurs se font face sur un marché qui, pour le moment, a favorisé ces derniers. Cela peut être quitte ou double dans ce qui se révèle une version du dilemme du prisonnier. Rester à l’écart des marchés, c’est prendre le risque de perdre encore plus de terrain. A l’inverse, augmenter l’allocation aux actions, c’est prendre le risque qu’une correction des marchés conduiront à une perte significative de performance.
Deux facteurs importants contribuent à ce dilemme.
Premièrement, ayant débuté en juin 2009, l’expansion économique sera la plus longue depuis la Seconde Guerre mondiale.
Deuxièmement, une partie de la courbe de taux américains s’est brièvement inversée à fin mars, un phénomène traditionnellement analysé comme un présage de récession.
Nous serions beaucoup plus prudents avant d’inférer l’arrivée imminente d’une récession.
Premièrement, il s’est écoulé environ 21 mois en moyenne entre la première inversion de la courbe de taux (mesurée par l’écart entre les obligations du Trésor américain à deux ans et leurs équivalents à 10 ans) et chacune des neuf dernières récessions.
Deuxièmement, bien que cette phase d’expansion économique aux États-Unis soit la plus longue, ce n’est que la quatrième en termes de ‘densité’, une notion qui tient compte de l’accumulation de la dette et des investissements. Troisièmement, la Fed montre la ferme volonté de prolonger le cycle du crédit, comme le montre le virage pris en début d’année en faveur d’une politique monétaire très accommodante au début de l’année. Quatrièmement, la courbe de taux a été faussée par l’assouplissement quantitatif et les attentes du marché concernant la politique de la Fed. En résumé, il est trop tôt pour annoncer une récession.
La possibilité d’une expansion supplémentaire des valorisations n’est pas nulle, notamment sous l’impulsion d’un afflux de nouvelles liquidités en faveur des actions. Par ailleurs, l’absence de tout catalyseur fondamental crée la menace d’une correction du marché. C’est le cœur du dilemme qu’affrontent les investisseurs.
Il n’existe pas de stratégie d’investissement unique : les objectifs propres à chaque investisseur et sa tolérance au risque déterminent quelle stratégie peut être considérée comme ‘optimale’. Cependant, nous pensons qu’il est juste de dire qu’une stratégie tournée vers les placements en liquidités n’est plus adaptée : le cash n’est plus roi dans une période de doute, et donc de recherche de protection (cash is no longer king). Les banques centrales étant réticentes à l’idée d’une ‘normalisation’ de leurs politiques monétaires, les rendements offerts par les investissements les plus liquides (le cash) ne compensent pas l’érosion du capital à cause de l’inflation, en particulier pour les investisseurs en euros.
La stratégie d’investissement optimale consiste à conserver une exposition aux actions tout en acquérant une couverture adéquate qui protégera les portefeuilles en cas de correction. Ceci permettrait aux investisseurs de participer à une poursuite de la hausse des marchés tout en se protégeant d’une baisse. Une deuxième solution serait de passer d’un style d’investissement axé sur la recherche de la plus-value du capital à un style articulé autour de la recherche du rendement. On pourrait envisager, par exemple, une stratégie équilibrée où un placement dans des obligations émergentes en monnaie locale est contrebalancé par un investissement dans les crédits de plus haute qualité (investment grade) en euros.
En conclusion, après dix années de marché porteur et dans un cycle économique déjà bien avancé, nous pensons que l’essential des gains est derrière nous. Le risque doit être géré de façon encore plus disciplinée qu’avant. Nous estimons désormais être dans une situation où sans prise de risque il n’y aura pas de profit. C’est l’équivalent, pour revenir au dilemme classique du prisonnier, de la confiance prudente qui s’impose entre deux prisonniers afin qu’ils puissent partagent tous les deux une peine plus légère.