Par Dorval AM
Au terme d’une longue période de consolidation et de doutes en 2018 et 2019, les marchés des
actions ont fini par casser à la hausse leurs précédents points hauts de janvier 2018. L’escalade des
droits de douane entre les Etats-Unis et la Chine semble désormais enrayée, et le scenario d’un Brexit
sans accord a été repoussé. L’accalmie politique est certes relative, et d’autres fronts pourraient
s’ouvrir, mais on est en droit de penser que le point d’angoisse maximum est derrière nous. Les
investisseurs auront beaucoup douté, craignant parfois la récession. Ce fut le cas au cours de l’été
2019, quand la guerre commerciale menaçait de prendre des proportions inquiétantes.
Le scenario d’atterrissage en douceur se met en place
Après deux ans de ralentissement et de révisions à la baisse de la croissance, le scenario
d’atterrissage en douceur de l’économie mondiale se met en place. Les investisseurs commencent à
faire la part des choses, distinguant le secteur industriel, qui a beaucoup souffert, de celui des
services, plus important et plus résilient. Ils constatent aussi que le ralentissement industriel n’a pas
été seulement – et sans doute même pas principalement – causé par les tensions commerciales.
D’autres chocs, sans lien avec la guerre commerciale, ont aussi joué un rôle crucial. C’est le cas du
secteur automobile, doublement pénalisé par la fin des subventions en Chine, et par la transition vers
de nouvelles normes environnementales un peu partout dans le monde. Les indicateurs récents
montrent que ces effets disruptifs s’estompent très progressivement, et qu’un rebond modéré en
2020 devient un scenario probable. Un autre exemple de cycle en retournement est celui du secteur
des semi-conducteurs, qui devrait bénéficier entre autres de l’arrivée de la 5G dans la téléphonie
mobile.
Le grand cycle macro-financier qui a débuté en 2009 devrait donc pouvoir se prolonger, malgré sa
durée déjà record et des signes de maturité qui continueront d’interpeller les observateurs. Les
économistes interrogés par Bloomberg estiment à 33% la probabilité d’une récession aux Etats-Unis
dans les 12 mois, les arguments allant de l’érosion des marges des entreprises américaines au très
bas niveau du taux de chômage, en passant par l’inversion de la courbe des taux d’intérêt l’été
dernier. Selon nous, la stabilisation industrielle en cours et l’absence de déséquilibre
macroéconomique majeur plaident pour la poursuite d’une croissance modérée, d’autant que
l’insuffisance de l’inflation encourage les banques centrales à prolonger le cycle. Leurs actions restent
plus efficaces qu’on ne le dit parfois, comme en témoigne le dynamisme de l’activité dans les secteurs
les plus sensibles aux taux d’intérêt. Mais les esprits se tournent désormais aussi vers les politiques
budgétaires, qui seront modérément expansionnistes en 2020. Dans ce monde plus « keynésien »,
qui privilégie le soutien à la croissance, la récession devient un scenario moins probable, au moins à
court terme. Reste à relever le défi, en particulier en Europe, de combiner exigences écologiques et
croissance économique. Cela pourrait prendre la forme d’une relance « verte » de l’investissement
public, secteur qui a été jusqu’à présent le parent pauvre de la phase d’expansion.
Une croissance nominale toujours modérée limiterait la repentification des courbes de taux
Comme toujours lorsque les perspectives économiques s’améliorent, l’angoisse des investisseurs se
déplace vers le risque de hausse des taux d’intérêt. Les banques centrales ont déjà annoncé qu’elles
n’ont pas l’intention de remonter les taux à court-terme même si l’inflation se normalise
progressivement. Mais les taux à long-terme, eux, pourraient grimper. C’est un scenario crédible
pour 2020, mais qui se heurte à des résistances. Outre les tensions commerciales qui demeurent, les
anticipations de croissance et d’inflation restent inhibées par la tendance fondamentale au
ralentissement en Chine, par la normalisation de la croissance US après la baisse des impôts de 2018,
et par le niveau encore très limité du soutien budgétaire en Europe. Pour ces raisons, nous pensons
que les taux d’intérêt, même s’ils remontent un peu, devront demeurer très bas encore longtemps
pour maintenir la croissance mondiale à flot.
L’écroulement des taux d’intérêt s’est diffusé aux grandes valeurs de croissance…
A ce stade, ces doutes sont utiles au marché des actions, car ils permettent un équilibre remarquable
entre croissance modérée et très bas niveau de taux à long-terme. Mais ce scenario positif n’est-il
pas déjà anticipé, voire sur-anticipé, après la forte hausse des bourses mondiales en 2019 ? La
médiane des PER (ratio cours/bénéfices) des actions mondiales a certes nettement remonté depuis
son point bas de décembre 2018, mais elle reste proche de sa moyenne historique. Ce point est à la
fois rassurant et intriguant, car, portés par l’écroulement des taux d’intérêt, d’autres actifs ont subi
depuis plusieurs années une inflation autrement plus forte. C’est le cas de l’immobilier des grandes
villes, où les rendements locatifs ont fortement baissé, et des placements non cotés comme le private
equity et les dettes privées. En comparaison, les marchés des actions sont clairement bon marché.
Une partie du marché des actions a cependant participé au mouvement général de l’inflation des prix
des actifs : ce sont les grandes valeurs de croissance. L’indice MSCI des valeurs de croissance dans les
pays développés porte un PER supérieur à 22, le plus élevé depuis début 2002. On est loin des niveaux
de 30 ou 40 de la bulle des années 99/2000, mais la hausse est significative. La soutenabilité des
niveaux de valorisation atteints par ces valeurs est un des enjeux de l’année 2020, surtout si les taux
d’intérêt étaient amenés à remonter violement. Mais ce n’est pas notre scenario à ce stade.
…mais le contexte devient favorable au rattrapage des marchés et valeurs délaissées en 2018/19
Ce qui est sûr, en revanche, c’est que le reste de la cote, dont les valeurs cycliques et les financières,
mais aussi les petites valeurs, est loin d’avoir suivi le mouvement. Nous pensons justement que cela
pourrait changer, à la faveur de la baisse des angoisses sur la croissance mondiale, et d’un écart de
valorisation devenu très attractif. Parmi les marchés les moins chers, le marché japonais, très riche
en valeur industrielles décotées, offre des opportunités. C’est aussi le cas du marché anglais qui,
malgré les risques qui perdurent, est redevenu investissable après plus de trois années de « boycott
» par les gérants. Citons également les actifs émergents, notamment les devises, qui n’ont que
marginalement bénéficié jusqu’ici du retour de l’optimisme du fait de la robustesse du dollar.
L’univers des petites valeurs européennes, enfin, a depuis dix-huit mois reconstitué une prime de
risque attractive liée à la liquidité par rapport aux grandes valeurs, alors que la dynamique de
croissance des profits y reste comparativement favorable.
Moins d’angoisses sur le cycle, mais beaucoup de questions structurelles pour l’allocation d’actifs
Si notre scenario de stabilisation économique se réalise, les investisseurs commenceront peut-être à
pouvoir lever le nez du guidon, et réfléchir à la décennie qui s’ouvre. Partout annoncé et analysé, le
thème de la transition énergétique s’annonce comme un enjeu macro et microéconomique majeur.
Il comporte certes des opportunités, mais aussi des risques, qui dépendront en grande partie du
rythme et de la nature des impulsions politiques sur ce sujet. Enfin, même s’ils remonteront sans
doute légèrement, les taux d’intérêt vont demeurer à des niveaux tellement bas qu’ils imposeront
des changements profonds dans la façon de gérer l’épargne. Les marchés des actions devraient alors
en profiter.