Par Alexandre Baradez, Responsable Analyses Marchés chez IG France
Après la performance remarquable des marchés actions en 2019, plus propulsés par l’action des banques centrales et les rachats d’actions que par la macroéconomie mondiale ou la progression des résultats d’entreprises, des questions se posent sur la soutenabilité de la trajectoire.
Stabilisation du sentiment manufacturier et rebond du sentiment dans les services en zone euro (via les indices PMI), rebond du sentiment dans les services aux Etats-Unis via les indices PMI et ISM malgré une nouvelle dégradation de l’ISM manufacturier, injections quotidiennes de la Fed sur les marchés monétaires, nouvelle baisse des ratios de réserve prudentiels pour les banques en Chine et rebond des exportations, discussions au sein de la Banque d’Angleterre sur des mesures d’assouplissement monétaire, rebond des exportations en Chine… la voie est-elle toute tracée vers une poursuite de la hausse des indices ?
Le sentiment qui prédomine est bien celui d’une invulnérabilité des marchés actions, convaincus qu’à moins d’un an de l’élection américaine, le président américain fera tout pour préserver la trajectoire des indices, que la Fed continuera d’injecter de la liquidité et de baisser les taux si nécessaire, que les rachats d’actions des grands groupes en Europe ou aux Etats-Unis continueront de gommer les effets de certaines publications, que la faiblesse des rendements sur l’obligataire souverain continuera d’aiguiser l’appétit pour les actions.
Se placer à contre-tendance de ce sentiment est dangereux, 2019 l’a prouvé… Mais considérer que les banques centrales seront toujours un rempart absolu contre le risque l’est tout autant. Les déclarations plus fréquentes de fin de mandat de Mario Draghi (et de début de mandat de Christine Lagarde) sur la mesure des effets négatifs de la politique monétaire de la BCE ne sont-elles pas un préambule à moins de soutien monétaire en 2020 ? Récemment, Yves Mersch a déclaré : « Nous avons besoin d’un niveau de vigilance très élevé dans l’observation des effets secondaires de la politique monétaire ». Certains membres de le Fed comme Eric Rosengren font également part publiquement de leurs interrogations sur la prise de risque dans la recherche de rendements liée à l’environnement de taux bas.
Quels arguments la Fed pourra-t-elle employer dans les mois qui viennent pour justifier une politique monétaire très expansionniste alors que l’économie US croit encore à un rythme supérieur à 2% ?
L’expansion du bilan de la Fed ces cinq derniers mois est la plus rapide observée depuis la mise en place du premier « quantitative easing » de la Fed lors de la crise systémique des subprimes. Le montant des injections de liquidité de la Fed est le plus important depuis la faillite de Lehman Brothers en 2008. Est-ce tenable que des mesures dernièrement employées lors d’une crise systémique soient portées sur une aussi longue période, notamment au moment où une détente commerciale intervient entre les Etats-Unis et la Chine ?
Il semble important de rappeler quelques éléments fondamentaux : en 2019, l’indice SP500 a progressé de 29%… sans progression des bénéfices des entreprises. Cette expansion des multiples et notamment sur les valeurs techs (avec un Nasdaq 100 qui se paie près de 30 fois les bénéfices) rappelle, dans une moindre mesure, la phase de hausse qui a précédé la bulle internet. Le pourcentage d’entreprises introduites en bourse aux Etats-Unis et qui ne font pas de bénéfices atteint les niveaux de 2000… Autre élément perturbant : la capitalisation des marchés actions américains rapportée au PIB US dépasse le pourcentage atteint lors de la bulle internet.
La progression exponentielle de plusieurs valeurs en quelques mois dans un environnement de croissance mondiale toujours fragile et sans progression des bénéfices semble exposer le marché à des phénomènes correctifs spontanés et potentiellement brutaux. Comme celui qui s’était manifesté début 2018, après un rapport sur l’emploi américain pourtant solide : les marchés avaient brutalement décroché de plus de 10% en quelques jours et le VIX s’était envolé à 50.
La faiblesse du secteur manufacturier doit également rester sous surveillance que ce soit en Europe, en Chine… ou aux Etats-Unis. L’activité manufacturière américaine est encore sensiblement contractée et cela se traduit par des destructions d’emplois dans le secteur comme en témoigne le dernier rapport sur l’emploi. Le secteur des services reste immun à cette contraction, pour l’instant.