ACTION FUTURE 51
Propos recueillis par François Aroles.
Action Future : Votre livre “Guerre et paix entre les monnaies” (Fayard 2014), commence par un prologue futuriste où vous livrez une vision réaliste mais noire de ce que pourrait être, malgré une embellie à court terme, la situation économique en 2029. Pensez-vous qu’aujourd’hui l’inaction politique et le manque de véritable leader puissent être le principal danger de l’économie mondiale et de la stabilité monétaire ? Qui ou quelle entité, à vos yeux, pourrait prendre la situation en main pour éviter une véritable «guerre des monnaies » ?
Jacques Mistral : L’économie mondiale est en effet à un tournant dangereux. Après la crise financière de 2007 et la crise des dettes souveraines en Europe, le pire a certes été évité ; mais nous sommes loin d’avoir retrouvé un sentier de croissance durable. Le problème actuel provient de ce que nous sommes sortis de ces crises par une méthode non soutenable, l’explosion des dettes publiques et du bilan des banques centrales. On a gagné du temps, tant mieux, mais le moment de vérité approche. Aurait-on déjà oublié que la croissance incontrôlée des liquidités est le facteur caché derrière les désordres passés de la finance ? Recourir durablement au même traitement, ce serait, si l’on continuait dans cette voie, préparer la prochaine crise, la prochaine “grande récession” et cette fois, il y a peu de chances que l’on sache en contrôler les développements comme en 2009. Mais le plus inquiétant, c’est que, avec l’accumulation des difficultés, la tentation du “chacun pour soi” revient et l’on n’en mesure pas les risques. Face à une crise longue et dure, l’absence d’action collective internationale résolue menace à la longue de réenclencher les guerres commerciales et monétaires qui ont si fortement contribué au désastre des années 30 en transformant la récession en une dépression mondiale. Impuissants à répondre aux aspirations des peuples, les pires régimes politiques du XXème siècle se sont réfugiés dans l’autarcie. Nous n’en sommes heureusement pas là, même si certains n’hésitent pas à faire vibrer la fibre isolationniste. Heureusement, la création du G20 après la crise financière a été une initiative utile mais on en voit les limites et il faudrait maintenant une meilleure gouvernance économique mondiale en renforçant en particulier le rôle et les pouvoirs du FMI.
AF : Vous mettez en avant la prépondérance des intérêts internes dans les débats internationaux et vous décrivez un équilibre fragile entre les trois puissances majeures, la Chine, l’Europe et les USA. Toutefois, il apparaît de plus en plus clairement que malgré des décennies de stabilité et de progrès, la machine “Europe” est passée bien près du précipice et se trouve dans une situation délicate face aux deux autres grands et même face aux émergents. Pensez-vous que l’Europe pourra conserver sa forme actuelle avec autant de disparités entre les membres et mener à bien une partie des réformes nécessaires à sa gouvernance que vous abordez dans le livre. Pour vous, l’euro est-il définitivement sauvé ?
Jacques Mistral : Vous avez raison, l’Europe est passée près du précipice (comme d’ailleurs la finance américaine en 2008-2009); mais depuis le printemps 2012, les problèmes de l’eurozone ne font plus la une du Financial Times ni les couvertures de The Economist. Est-ce durable?
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