Par Béatrice Guedj (PhD) – Directrice Recherche et Innovation – Swiss Life AM
Le chant du « lower for longer » contribue à fortement bénéficier aux
actifs alternatifs, dont l’immobilier. Par rapport à l’immobilier direct,
l’immobilier coté semble relativement préservé de la contagion de la
valorisation des actifs impulsée par le renforcement des taux d’intérêt
bas. Dans ce contexte, tout investisseur peut s’interroger sur la
pertinence d’une exposition aux sociétés immobilières cotées dans
l’allocation d’actifs, et plus particulièrement sur le compartiment
immobilier.
Capitalisation boursière et valeur de l’actif net réévalué
Cette question se pose à un « timing » précis du cycle pour
l’immobilier coté : depuis 2015, nombreuses REITs en Europe, telle
que montré par l’indice EPRA, sont l’objet d’une forte décote de leur
capitalisation boursière par rapport à leur actif net réévalué. Une
combinaison d’effets, liés au « retail bashing », au Brexit, ou à la
remise en cause du « business model » de certaines REIT’s sont les
arguments souvent mis en avant, tous azimuts et sans réel facteur
discriminant.
Pour rappel, les REITs européennes et notamment les SIIC Françaises
donnent accès à un portefeuille d’immobilier de qualité, et
permettent de fait une exposition à des secteurs très différenciés, via
des spécialistes sur des typologies d’actifs bien identifiées. L’analyse
des patrimoines des REITs suggère que selon les pays, les sociétés
immobilières cotées détiennent de 25% à 50% du stock d’immobilier
investi, notamment sur des localisations prime et à forte croissance.
Ces REITs sont souvent les principaux investisseurs institutionnels
sur leur marché domestique.
Corrélations avec les autres marchés
En plus de la décote de la capitalisation boursière par rapport à l’actif
net réévalué, il existe une prime du taux de distribution des
dividendes par rapport au taux de capitalisation des bureaux Prime.
Cette prime du taux de distribution a fortement haussé depuis la
politique d’assouplissement monétaire (Quantitative Easing) de la
Banque centrale européenne. Notons que dans le cas français, les
environnements des SIIC sont plus facilement comparables en termes
de prime par rapport aux bureaux QCA, que l’ensemble des REITs à
un taux prime européen. Cette prime est significative, ce qui appelle
une analyse sur le comportement du sous-jacent, pour en comprendre
les performances à moyen et long terme, en regard de la croissance
des prix.
Une analyse des corrélations, montre que pour des horizons
d’investissement à moyen terme l’immobilier coté se comporte de
manière croissante comme l’immobilier direct sous-jacent. En effet,
alors que l’immobilier coté est souvent géré avec les autres
compartiments actions, au-delà de trois ans et plus, l’immobilier coté
subit de moins en moins l’influence du marché des actions, comme
cela est illustré dans le cas français. La capacité de diversification de
l’immobilier coté par rapport aux actions (dans le cas présenté dans
ce billet, le CAC all Tradable) et aux obligations (dans ce cas, les OAT
10 ans) est moindre que celle de l’immobilier direct, identifié par le
taux Prime Paris QCA, mais elle reste toutefois importante. Cette
première remarque est fondamentale pour comprendre la
complémentarité de l’immobilier coté aux côtés de l’immobilier
direct, dans le cas d’une « allocation bicéphale » d’un binôme « coté-
non coté ».
Portefeuille : binôme immobilier (coté-direct)
Pour quantifier la part d’immobilier coté qu’il serait actuellement
souhaitable d’introduire dans l’exposition en immobilier des
investisseurs institutionnels, l’exercice consiste à démarrer d’un
portefeuille diversifié de référence, ou classique, investi à 75% en
obligations OAT 10 ans et 25% en actions au travers de l’indice CAC
All Tradable. L’immobilier est alors introduit à hauteur de 20% sous
la forme d’immobilier coté au travers de l’indice IEIF Foncières et
d’immobilier direct au travers de l’indice des bureaux Prime Paris
QCA CBRE. La démarche est ensuite « itérative », puisque le mix
immobilier varie de 20% d’immobilier direct à 20% d’immobilier coté
par pas de 5%.
L’investisseur sait bien que la volatilité des portefeuilles est la
résultante des volatilités et des corrélations des performances totales
des actifs, aussi la moindre corrélation, telle que présentée
antérieurement intuite déjà des résultats quantitatifs présentées ci-
après.
On rappelle que la rentabilité attendue des actifs est la somme des
rendements courants et des facteurs d’indexation anticipés des
revenus. Le facteur d’indexation pour les actions est la croissance
nominale potentielle et, pour l’immobilier, l’inflation anticipée.
L’exercice de modélisation montre que l’introduction d’immobilier
augmente systématiquement la rentabilité par unité de risque du
portefeuille de base.
➢ Une exposition immobilière constituée de 20%
d’immobilier coté permet en effet d’augmenter de 30 points
de base la rentabilité attendue du portefeuille initial à
niveau de volatilité inchangée.
➢ Une exposition immobilière constituée de 15%
d’immobilier direct et de 5% d’immobilier coté permet de
réduire de 10% la volatilité du portefeuille de base à niveau
de rentabilité attendue inchangée.
Value Call : Stock-picking is key !
L’exposition en immobilier coté, telle que présentée peut être
dynamisée par une stratégie de stock-picking privilégiant une
sélection de sociétés immobilières différente de la composition des
indices et des poids différents de la capitalisation boursière : le stock-
picking est la stratégie discriminante majeure pour engendrer de la
performance potentielle, et elle nécessite une bonne connaissance des
métriques des REITs et de leur patrimoine.
Au niveau européen les sociétés immobilières cotées investissant dans
les segments logistique, industriel et santé présentent une forte prime
de leur capitalisation par rapport à leur actif net réévalué alors que
celles investissant dans les segments résidentiel et commercial
subissent une forte décote. Toutefois, au sein de chacun des secteurs,
les stratégies et patrimoines sont singulières à chaque REITs, c’est la
beauté de l’immobilier !
Aussi, parmi ces sociétés décotées, il est important d’avoir une
démarche sélective entre les sociétés qui pourraient apparaître comme
des « value trap », c’est-à-dire dont la valorisation est pleinement
motivée par des business models destructeurs de valeur, versus les sociétés
qui pourraient être considérées comme « value call », dont les business
models sont créateurs de valeur.
Aussi, au sein de l’échantillon des sociétés immobilières spécialistes
en commerce, il est noté une grande hétérogénéité de relation entre la
capitalisation boursière et l’actif net réévalué. Toutefois, l’analyse des
éléments fondamentaux permet d’identifier deux sous-ensembles de
sociétés : les sociétés qui ont enregistré des hausses de loyers et sont
au-dessus de leur moyenne, depuis 2013 versus celles qui n’ont pas
enregistré de hausse de loyers et sont en-dessous de leur moyenne
depuis 2013.
Enfin, selon un classement via des critères de taux d’efforts des
locataires, taux d’occupation et tendances du taux d’effort, il est
possible de faire une discrimination entre sociétés qui investissent
dans des zones de chalandises dynamiques, des « hot spots », résilientes
au e-commerce1
, et celles qui n’ont pas cette exposition. Aussi, le
croisement de l’ensemble des critères permet une « sélection » des
sociétés qui sont en position d’amplifier l’effet positif de
l’introduction d’immobilier coté dans l’exposition en immobilier, et
de générer ainsi une performance à moyen et long terme.