Par Alexandre Hezez, stratégiste Groupe Richelieu
La pandémie due au nouveau coronavirus ne
cesse de prendre de l’ampleur. Il y a
désormais « plus de cas et de décès
dans le reste du monde qu’en Chine ».
La conférence téléphonique entre les
ministres des Finances des pays du G20 a
confirmé lundi matin l’impact économique
violent de la crise liée à la pandémie de
coronavirus sur la croissance mondiale,
mais également la prise de conscience
pour une réponse massive, rapide et
coordonnée. D’une certaine manière,
les différentes expériences de l’épidémie
que ce soit en Chine ou en Italie n’ont pas été
mises à profit par les pays pour mettre en
place rapidement des solutions efficientes.
C’est évidemment une chose plus aisée à
dire qu’à faire et il apparaît que la dynamique
du phénomène est en partie liée aux
populations qui tardent à admettre la gravité
de la situation : fermetures de frontières,
confinements de populations, déclarations
d’états d’urgence, suspensions des liaisons
aériennes et maritimes… d’un bout à l’autre
de l’Union européenne (UE), comme dans le
reste du monde, les mesures d’exception se
multiplient pour tenter de contenir
l’expansion du virus.
Au sein d’environnements moins agités,
il est difficile d’établir avec justesse des
prévisions ou des prédictions. Mais dans un
environnement aussi volatil en termes
d’informations, l’exercice perd son sens et
son intérêt. Avec un recul mesuré, tout laisse
à penser que l’épicentre de la crise se
déplace d’Est en Ouest et que les effets se
ressemblent, lorsque nous observons par
exemple les courbes des cas entre l’Italie et
la France. Au-delà de l’aspect humain, l’enjeu
pour les marchés financiers va se concentrer
sur le continent américain. Nous pouvons
d’ores et déjà essayer d’établir quelques
scénarii pour les Etats-Unis en dehors des
actions monétaires et budgétaires.
Nous ne sommes bien évidemment pas
infectiologues ou épidémiologistes mais
nous cherchons de manière objective à
extraire quelques réalités probabilisables
appuyées par les analyses de nos
partenaires américains.
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L’économie américaine s’arrête pratique-
ment pour toutes les activités non
essentielles pendant 2 semaines dans les
prochains jours. Parallèlement, les tests de
dépistage augmentent considérablement,
permettant d’évaluer la propagation en
temps réel. Puis, à la fin de période des
2 semaines, le nombre de cas nouveaux
commence à ralentir considérablement
et une grande partie des individus
atteints est identifiée. Cela permet aux
États-Unis de commencer lentement la
réouverture de certaines activités et de
mettre en place des zones de surveillance
actives dans les territoires les plus touchés.
Dans ce scénario, près de 500 000
personnes pourraient être contaminées, et
un pic atteint vers la fin avril.
Le gouvernement a probablement raté sa
fenêtre de tir pour entreprendre un
confinement total. L’incapacité à mettre en
place un verrouillage national et à permettre
à chaque État de décider entraînera
probablement la propagation. Peut-on
envisager des mesures de confinement plus
drastiques à l’instar de certains pays ? Si le
confinement imposé est difficile à vivre,
certains pays touchés par le Covid-19 ont
choisi des règles strictes pour endiguer la
propagation du nouveau coronavirus.
Par exemple, à Wuhan en Chine (image
ci-dessous) où le virus est apparu, la ville est
confinée depuis deux mois et l’ensemble des
moyens de circulation a été interrompu.
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Les zones touchées par la propagation du
Covid-19 seront mises en confinement
« forcé ». Au fur et à mesure que des régions
constateront la propagation chez leurs
voisins, elles prendront des mesures
restrictives. Mais ces décisions ne seront
prises qu’à posteriori et non de façon
préventive. Il est vrai que comme dans de
nombreux pays (les américains ne font pas
exemption), le public ignore largement les
avertissements : “Spring Break”, congé
universitaire de printemps en est l’exemple
concret. Même si la situation pandémique
fait que la plage est plus clairsemée que
d’habitude, elle n’est toujours pas déserte.
Cela étant, ce scénario ne prendra de
l’épaisseur que si le taux de mortalité
augmente à un seuil intolérable dans
l’inconscient collectif (probablement dans
les 16 prochains jours). À ce moment,
la population acceptera une action
significative et collective de la Société car
elle deviendra nécessaire. Toutes les
décisions du scénario 1 seront mises en
place. Le nombre d’infections dans ce cas
pourrait se maintenir autour d’un million de
personnes avec un pic fin mai. Certains états
commencent à prendre des mesures
agressives montrant que ce type d’action
est possible, mais 75 % des américains
continuent de vivre dans des zones où cela
n’est pas entré en vigueur. C’est le scénario
privilégié actuellement.
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Les dirigeants fédéraux, étatiques et locaux
ne parviennent pas à contenir la propagation
de manière significative. Cet échec est du en
partie à la non-acceptation par la population
des restrictions des libertés et ne prend pas
de mesures significatives pour empêcher
une propagation rapide. Ce manque
d’action(s) permet au virus de continuer à
doubler chaque semaine. Auquel cas, on
pourrait imaginer un ralentissement de la
propagation du virus seulement cet été.
Le bilan humain serait irrépressiblement
alourdi et tout serait mis en place pour des
tests et des soins idoines. Le magazine
Science a un excellent article sur les raisons
pour lesquelles les virus se multiplient et
diminuent de façon saisonnière (cliquez-ici
pour lire l’article).
Dans ce scénario, le nombre de personnes
infectées dépasserait le million et le pic
devrait être atteint autour de début juillet.
Si les dirigeants n’agissent pas de manière
coordonnée à l’échelle nationale, la
propagation se poursuivra. Les déclarations
répétées de la Maison Blanche selon
lesquelles elle ne pense pas qu’un
« verrouillage » à l’échelle nationale soit
nécessaire amène un scénario de ce type à
se renforcer. Cela doit nécessairement
impliquer une réponse fiscale et budgétaire
en proportion du désastre humain induit.
C’est une hypothèse humainement insensée
mais qui malheureusement prend corps
dans certains propos aux États-Unis.
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Nous attachons la plus faible probabilité à ce
scénario. Dans celui-ci, l’été ne crée pas de
tampon naturel, les dirigeants à tous les
niveaux ne prennent aucune mesure
adaptée, et la population décrète que la
menace n’est pas si significative.
Nous croyons que dans ce scénario « noir », le
nombre d’infections dépassera largement le
million et le nombre de décès plus de
100 000. Pour autant, cette option prend
plus d’importance chaque jour, à mesure que
le gouvernement ne prend pas de mesures
importantes.
Le Secrétaire général de l’OCDE prévient que
l’économie mondiale va souffrir « pendant
des années » de l’impact du coronavirus, juge
« irréaliste » un rebond rapide et demande un
« effort mondial moderne semblable au Plan
Marshall et au New Deal combinés ». Face à
cette crise exceptionnelle par son ampleur,
sa vitesse et sa globalité, les réponses
possibles seront multiples et provoqueront
des excès de volatilité à la hausse comme à la
baisse. Les réponses devront être en
proportion de la destruction de valeur chez
l’ensemble des agents économiques.
Les réponses indissociées qui doivent être
apportées sont de 3 ordres :
– Monétaire : les banques centrales doivent
affirmer leur crédibilité et leur soutien sans
faille et sans limite. La Fed est intervenue de
nouveau de manière spectaculaire,
s’engageant à acheter des obligations du
Trésor et des obligations adossées à des
créances hypothécaires illimitées et
s’impliquant également dans le secteur des
obligations d’entreprises. L’ampleur de cette
réponse est supérieure à celle de 2008.
La liquidité est importante et la Fed mobilise
des fonds publics. Mais comme il y a un
mouvement de défaut, ces dispositions à
elles seules n’empêcheront pas le chômage
d’augmenter.
– Budgétaire : pour l’instant, les États-Unis
n’ont pas pris la mesure du phénomène.
Malgré d’intenses négociations, la Maison
Blanche, les républicains et les démocrates
du Congrès n’ont pas su s’accorder à ce jour
pour parvenir à un premier vote sur un
gigantesque plan de soutien à l’économie
américaine.
– Sanitaire : la Californie et trois autres États
américains ont ordonné à des dizaines de
millions de personnes de rester chez elles.
Les 4 scénarii évoqués restent probables.
Pour l’instant, seule la réponse monétaire
s’avère plus que satisfaisante sans être de
nature à enrayer la hausse des primes de
risques. Autrement dit, à ce stade, elle est
nécessaire mais non suffisante ce qui est de
nature à fragiliser l’équilibre à court terme
d’une économie en panne sèche de
croissance.
Contrairement à ce qui a été fait en Europe,
nous pensons qu’aux États-Unis, des
mesures de pseudo confinement vont être
mises en place mais la réponse monétaire et
budgétaire sera privilégiée et beaucoup plus
massive qu’attendu pour éviter tout arrêt
total de l’activité économique et atténuer une
réponse sanitaire plus discutable.