Par Hervé Goulletquer – Stratégiste- direction de la gestion- LBPAM
Les chiffres du marché du travail américain d’avril ne pouvaient être que mauvais. Ils l’ont été. La question est dorénavant de savoir combien de temps cette mauvaise passe pour l’emploi va durer. Avec le risque que la question sociale s’invite dans la campagne électorale.
En Europe, le dé-confinement s’étend. C’est au tour de la France. Quelle politique de relance économique faut-il mettre en place, au niveau national et aussi à celui de l’Union.
On anticipait sur les marchés financiers de très mauvais chiffres de l’emploi américain pour le mois d’avril. De fait, ils le sont : qui plus est, ils apparaissent bizarres sous certains aspects et forcent par ailleurs à se poser certaines questions de fond.
20,5 millions d’emplois ont été perdus aux Etats-Unis le mois dernier et le taux de chômage a augmenté de plus de 10 points à 14,7%. Ces évolutions, spectaculaires, voire inquiétantes, n’ont pas empêché une nette accélération du salaire horaire. En glissement sur un an, il est passé de 3,4% en mars à 7,7% en avril. Que se passe-t-il ?
Il faut comprendre deux choses. D’abord près de 80% des gens qui sont au chômage sont en fait en congés « forcés » ou le sont de façon temporaire. Si on ne les prenait pas en compte, le taux de chômage n’aurait guère bougé de mars à avril. Ensuite, l’accélération du salaire horaire est optique. L’indice est construit sans retenir des pondérations fixes par qualification. Il s’agit juste de l’évolution du salaire horaire moyen de la population active employée. Si plein de salariés peu qualifiés perdent leur emploi, optiquement une accélération apparaitra. C’est bien ce qui s’est passé le mois dernier : près de 50% des emplois perdus l’ont été dans les secteurs des loisirs et de l’hôtellerie – restauration.
On l’a compris ; ces chiffres sont à relativiser. Il n’empêche que tant que la maladie continuera de « roder », c’est-à-dire tant qu’on n’aura pas trouvé un médicament ou un vaccin, il n’y aura sans doute pas de vrai retour à la vie d’avant.
Quid alors des perspectives d’activité dans les secteurs qui ont le plus mis entre parenthèses le contrat de travail de leurs salariés le mois dernier ?
Il est à craindre que nombre d’entre les postes de travail aujourd’hui « gelés » soient supprimés.
A contrario, il faut pointer l’enclenchement du processus de réouverture de l’économie américaine. Cela devrait limiter l’ampleur du phénomène redouté.
Essayons de nous projeter un peu plus loin. La perspective d’un marché du travail moins dynamique intervient dans un contexte qu’il faut rappeler. Trois points sont d’importance.
Premièrement, la question des inégalités était déjà discutée dans la société américaine. La configuration, formée par la réaction asymétrique de l’emploi au choc sanitaire (les personnes les moins qualifiées sont les plus touchées) et par la campagne électorale, devrait faire monter en puissance le débat.
Deuxièmement, on observe depuis 2018 une timide remontée du nombre d’employés engagés dans des mouvements de grève. Le phénomène va-t-il s’amplifier, avec peut-être aussi une hausse du taux de syndicalisation ?
Troisièmement, la dernière livraison de l’hebdomadaire The Economist se référait à une étude publiée dans le cadre du National Bureau of Economic Research, selon laquelle les entreprises cotées, qui sont bien notées en matière d’indicateurs sociaux, ont un parcours boursier plus favorable depuis l’apparition de l’épidémie de coronavirus.
Il faut donc être attentif au point de savoir si la question sociale va s’inviter avec plus de force que prévue il-y-a quelques temps dans la campagne en vue des élections de novembre prochain. Si oui, cela pourrait compliquer la tâche du Président Trump et du Parti républicain. En attendant, le premier s’emploie à maximiser l’usage électoral des relations entre la Chine et les Etats-Unis. L’exercice semble compliqué. Du côté de la politique, l’heure est à la critique et le secrétaire d’Etat monte au front pour dénoncer le comportement de Pékin dans la gestion de la crise sanitaire. Du côté de l’économie, le secrétaire au Trésor s’emploie à défendre l’idée que le déroulé de la phase 1 de l’accord commercial entre les deux pays se passe de façon satisfaisante. Comment l’opinion publique, dont les marchés de capitaux, va-t-il se positionner dans cet environnement un peu contradictoire ? Rien de bien clair n’apparaît pour le moment.
Passons à l’Europe. La sortie du confinement, semaine après semaine, se confirme. C’est au tour de la France de se lancer dans l’opération. On le sait, l’exercice est délicat. Il faut faire repartir l’économie, tout en continuant de limiter la diffusion du virus. Selon moi, les initiatives de politique économique pourraient suivre la logique suivante : solder le passé, dynamiser le présent et préparer l’avenir. Quelques débuts de piste seraient alors à proposer.
Solder le passé
- Il y a une augmentation de la dette des entreprises et de l’Etat. Elle se surajoute à un niveau ex ante déjà lourd. Au point d’handicaper les développements futurs ? Là est le risque.
- D’où la proposition que l’Etat reprenne le surcroit de la dette des entreprises (tout ou partie) et que la dette accumulée en France (publique et privée) au cours de l’épisode épidémique soit transférée à une caisse d’amortissement qui la gérera sur la durée (très longue durée). En quelque sorte un modèle « Caisse des Dépôts » post guerres révolutionnaires et napoléoniennes.
Dynamiser le présent
- Malgré une situation de l’emploi fragilisée, l’épargne des particuliers aura augmenté avec le confinement. L’ambition doit être de dégonfler ce montant et le guider vers la consommation et l’investissement des ménages (logement). Baisse ciblée de la TVA (automobile (électrique ?), travaux de construction ou de rénovation de l’habitat, …) qui viendrait doper la possibilité d’une sortie précoce des fonds « bloqués » dans l’épargne salariale. Pour les caisses de l’Etat, l’effet volume sur la base taxable viendrait compenser la baisse du taux de taxation
Préparer l’avenir
- Mobiliser le pays en balisant le chemin vers demain ; cela passe par des investissements « verts » largement coordonnés au niveau européen. Cela signifie aussi pousser très fort pour que les 1000 milliards d’euros du projet de la Commission soient actés.
Finissons par le débat sur l’Europe. Remarquons d’abord que DBRS a introduit un biais négatif sur la not souveraine de l’Italie, alors que Moody’s n’a pas modifié la sienne. Sur les quatre agences de notation les plus suivies, le deux plus « installées » (S&P et Moody ‘s) ont donc décidé de « donner du temps au temps ». N’est-ce pas une sage décision ? Par ailleurs, dans le débat ouvert par la Cour constitutionnelle allemande, les institutions européennes évidemment « montent au front » ; avec fermeté, mais sans agressivité. Je continue de penser que le débat est moins de fond (la nécessité de l’action commune) que de forme (la cadre juridique des initiatives à prendre et ce que cela veut dire sur la définition de celles-ci). Bruxelles doit insister sur la subsidiarité (dans le but de relativiser les arguments d’attribution et de proportionnalité mis en avant par les juges constitutionnels allemands ; cf. l’Eco du Matin du 6 mai dernier) et serait bien inspiré de « soulager » la BCE par une politique budgétaire commune plus audacieuse.