Par Marc Brütsch – Chief Economist – Swiss Life AM
et Francesca Boucard – Economist Real Estate – Swiss Life AM
– L’inflation totale repart à la baisse en réaction à la chute des cours du pétrole.
– L’inflation sous-jacente devrait encore augmenter avec l’accélération de la hausse des salaires.
– Les indices des directeurs d’achats dénotent une stabilisation de la dynamique des industries cycliques.
Le cycle de resserrement des taux de la Réserve fédérale
américaine a durci les conditions de financement pour
les entreprises comme pour les ménages. Le taux d’intérêt
moyen des prêts hypothécaires à 30 ans à taux fixe
(le type d’emprunt le plus répandu pour l’achat de logements
outre-Atlantique) a récemment atteint près de
5%, du jamais-vu depuis 2011. La hausse des derniers
trimestres s’est ressentie sur le marché américain des
logements : le moral des entreprises de construction
s’est dégradé et les indicateurs d’activité comme les
mises en chantier ou les ventes de de logements stagnent,
voire s’inscrivent en baisse.
Etats-Unis
L’économie américaine devrait commencer l’année
plus doucement après deux trimestres extraordinairement
dynamiques. Les chiffres disponibles au moment
où nous écrivons ces lignes montrent que le modèle de
prévisions actualisées en temps réel (« nowcast ») de la
Fed d’Atlanta tablent sur une croissance annualisée de
2,4% au dernier trimestre, proche de nos 2,3%. Pourtant,
le moral des ménages et des entreprises reste au
beau fixe. L’indice ISM des directeurs d’achats se maintient
à des niveaux élevés tant dans le secteur manufacturier
que dans les services. Quant aux ménages, ils bénéficient
non seulement de salaires en hausse mais
aussi d’un plein d’essence moins cher depuis la chute
des cours pétroliers. Face à ces éléments favorables se
dressent le durcissement des conditions de financement
(voir graphique du mois), un environnement extérieur
moins solide et la dissipation de l’effet de la relance
budgétaire courant 2019. Nous prévoyons donc
un tassement graduel de l’économie américaine vers
son potentiel (sans aller jusqu’à la récession) lors des
deux ans à venir, un scénario qui s’appuie avant tout
sur l’hypothèse que la Réserve fédérale tiendra compte
des statistiques économiques, et se montrera donc plutôt
prudente, pour ses prochains relèvements de taux.
L’inflation totale américaine a passé son pic et s’effondre
sous l’effet de la baisse des prix de l’énergie, un
effet de base qui devrait perdurer en 2019 et maintenir
l’inflation totale en dessous de 2% pour l’essentiel de
l’année. Entre-temps, les chiffres de novembre ont confirmé,
comme nous le pensions, le caractère temporaire
de la faiblesse de l’inflation sous-jacente, qui s’est redressée
dans le sillage des prix des voitures d’occasion,
des coûts d’habitation et des dépenses de santé. Les salaires
devant continuer de croître dans un contexte de
tension du marché du travail, l’inflation sous-jacente
devrait progresser encore modérément l’an prochain.
Zone euro
Actualité préoccupante en France
L’année 2018 avait commencé dans l’euphorie et
s’achève sur fond de problèmes croissants. Après
l’aboutissement fructueux des premières tentatives de
réformes économiques d’Emmanuel Macron en France
malgré les grèves de transports, la vague d’opposition
désordonnée à l’augmentation des prix des carburants
a contraint le gouvernement à s’incliner devant les « gilets
jaunes » et à abandonner son projet, ce qui fragilise
la position d’Emmanuel Macron pour ses prochains
chantiers. Il y a tout à parier que les élections européennes
de mai tourneront au référendum pour ou
contre la totalité du programme de réformes du président
français. Les dernières statistiques économiques
n’augurent rien de bon : l’amélioration du marché du
travail reste marginale et procède davantage de la reprise
mondiale que des mesures de réforme. Ces douze
derniers mois, le taux de chômage a reculé tout aussi
rapidement, voire plus vite, dans d’autres pays de la
zone euro. Contrariété supplémentaire pour Emmanuel
Macron, l’indice des directeurs d’achats du secteur
manufacturier est tombé sous la barre des
50 points qui sépare la croissance de la récession pour
la première fois depuis septembre 2016.
L’évolution récente des prix du pétrole confirme notre
hypothèse selon laquelle le pic de l’inflation totale de
la zone euro n’était que temporaire : la BCE n’est donc
pas pressée d’accélérer la normalisation de sa politique
monétaire. Sur 19 pays membres de la zone euro, ils
étaient 10 à afficher une inflation supérieure à 1,8% en
novembre, contre 14 en octobre. L’inflation de la région
devrait selon nous passer en dessous de 2% en décembre
et reculer encore jusqu’à 1,5% mi-2019 – et surtout,
l’inflation totale allemande devrait elle aussi se
stabiliser sous le seuil critique de 2% d’ici au deuxième
trimestre 2019.
Royaume-Uni
L’option no deal moins probable
Depuis l’été 2018, nous soulignons l’importance de
prendre en compte les scénarios extrêmes d’issue des
négociations du Brexit avec l’UE. Bien que le Brexit « à
l’aveugle » demeure notre scénario de base, nous avions
attribué une probabilité combinée de 30% à l’absence
d’accord et à l’organisation d’un deuxième référendum
qui refuserait le Brexit. Au vu des derniers événements,
et surtout du fait que Theresa May ait surmonté
l’épreuve du vote de confiance des députés conservateurs,
l’absence d’accord nous semble aujourd’hui
moins probable. Nous déduisons des majorités parlementaires
et des sondages d’opinion que personne ne
souhaite sortir de l’UE sans traité. Peu après le référendum
de 2016, le Centre national de la recherche sociale
(« NatCen ») avait lancé une consultation demandant
aux Britanniques s’ils jugeaient, avec le recul, que le
Brexit représentait la bonne solution. Pour 49% des
sondés (le plus haut pourcentage jamais enregistré), il
s’agissait d’une mauvaise décision, quand seulement
38% soutenaient le Brexit. Entre-temps, les statistiques
économiques du quatrième trimestre indiquent que les
dynamiques d’activité du Royaume-Uni suivraient la
même tendance au ralentissement que dans les autres
pays développés.
Avec le recul des prix de l’énergie, les perspectives d’inflation
pourraient encore s’amenuiser à court terme.
Nous attendons une baisse à 2,1% pour fin 2018, soit
bien moins que les 3% enregistrés au début de l’année.
Par la suite, l’inflation devrait se stabiliser selon nous,
même en cas d’issue extrême du Brexit. Si aucun accord
n’est trouvé, la modération temporaire de l’activité
pourrait freiner les possibilités d’augmentation des
prix des entreprises britanniques et modérer une croissance
des salaires qui s’était accélérée récemment, contrebalançant
ainsi l’impact d’une hausse des prix des
importations qui découlerait d’une rechute de la livre.
Suisse
L’inflation en chute libre
Le PIB du troisième trimestre a surpris à la baisse en
accusant une contraction de 0,2% en glissement trimestriel.
D’après le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO),
cette diminution provient essentiellement de la faiblesse
des exportations, à laquelle s’est ajouté un été
sec, qui a engendré une baisse de production dans les
centrales hydroélectriques. Ces deux facteurs ne devraient
pas persister, et les chiffres du quatrième trimestre
sont déjà meilleurs dans ces domaines. L’indice
des directeurs d’achats en Suisse (PMI) s’est redressé à
57,7 points en novembre, un niveau acceptable par rapport
aux valeurs passées. Selon l’enquête du centre de
recherches conjoncturelles KOF, le solde net d’entreprises
prévoyant une hausse de leurs commandes pour
les trois prochains mois serait remonté au dernier trimestre
2018, alors qu’il ne cessait de reculer depuis le
début de l’année. Le taux de chômage est tombé à 2,4%,
au plus bas depuis 2002. Avec la modération de l’économie
mondiale et l’appréciation du franc en 2018,
nous attendons toujours un tassement de la croissance
autour de son potentiel à long terme, ce qui apparaît
infiniment prudent, puisque notre estimation de
hausse du PIB de 1,2% en 2019 est la plus basse des
16 économistes interrogés par Consensus Economics.
L’inflation avait rebondi en juillet, avec une hausse annuelle
de 3,8% des prix à la production et des importations
et une progression de 1,2% des prix à la consommation
(IPC). En novembre, ces deux chiffres étaient
tombés à respectivement 1,4% et 0,9%. Nous prévoyons
une nouvelle érosion de l’IPC à 0,7% ce mois-ci, puis à
0,5% mi-2019. Ce recul, généralisé, ne s’explique pas
uniquement par la diminution des prix de l’énergie : les
chiffres officiels montrent un léger repli du coût de la
santé sur douze mois, et le franc fort rend les importations
moins chères. Enfin, les loyers devraient aussi
exercer un effet modérateur sur l’inflation en 2019.
Japon
Un marché du travail tendu
La croissance devrait évoluer conformément aux prévisions
du consensus. Certes, le pic cyclique est passé et
l’activité ralentira ces deux prochaines années, mais la
sévérité des dernières statistiques économiques était
globalement excessive et la dernière enquête Tankan
(de loin l’indicateur le plus important du moral des entreprises)
a surpris à la hausse, avec une amélioration
particulière du sentiment du secteur non manufacturier
et des projets d’investissement qui n’avaient jamais
été aussi ambitieux depuis le début des années 1990.
En outre, les contraintes de capacités augmentent, d’où
une hausse des salaires à un rythme jamais vu en vingt
ans, qui devrait alimenter une croissance tendancielle
de la consommation même si la hausse de la TVA prévue
pour octobre 2019 risque de bousculer les statistiques.
Notons que le mécanisme de transmission des
salaires vers l’inflation est faible au Japon et que l’inflation
sous-jacente devrait donc rester sage. L’augmentation
de l’inflation totale en 2019 et en 2020 repose
avant tout sur le relèvement de 8 à 10% de la TVA.
Chine
Trêve avec les Etats-Unis
Lors d’un dîner en marge du sommet du G20 en Argentine,
le président américain Donald Trump et son
homologue chinois Xi Jinping ont convenu d’une trêve
dans leur différend commercial : contrairement à ce
qui avait été annoncé, les Etats-Unis ne porteront pas
à 25% les droits de douane les produits chinois et la
Chine augmentera ses importations de biens agricoles,
énergétiques et industriels américains. Une période de
négociation de 90 jours a en outre été instaurée pour
traiter les questions structurelles concernant la Chine,
telles que les accusations de vol de propriété intellectuelle
et de transferts de technologie imposés. Si toutefois
les questions structurelles concernant la Chine ne
sont pas réglées après ces trois mois, l’escalade tarifaire
devrait continuer de peser sur le sentiment économique
des deux pays. Nous nous attendons donc à ce
que la Chine mobilise ces prochains mois un arsenal de
mesures conventionnelles budgétaires et monétaires
pour contrer l’influence négative que cette situation
devrait exercer sur la croissance.