Par Arnaud Faller, Directeur Général Délégué en charge des Investissements – CPR AM
Nous connaissons la crise la plus importante de notre histoire contemporaine. Parce qu’elle est mondiale, sanitaire, financière, économique et, socialement exacerbe les inégalités. Le seul répit est temporairement pour la planète. Les incertitudes sont nombreuses et fortes. La crise est bien plus profonde qu’en 2008/2009 mais les gouvernements et banquiers centraux ont su cette fois prendre les mesures qui s’imposaient. Les leçons de la crise économique qui avait suivi la crise financière ont été retenues et des montants hors norme accompagnés de plans de soutien économiques immédiats et massifs ont été mis en place : 2 000 $mds aux États-Unis, 1 100 €mds en Allemagne…
En parallèle, les contraintes ont été relâchées. L’UE a fait sauter les contraintes budgétaires, comme la limite de 3% de déficit public autorisé. La BCE a lancé le Pandemic Emergency Purchase Programme de 750 €mds avec notamment des achats d’euro CP court terme. Du côté de la Fed, citons la relance du QE à hauteur inégalée et l’achat d’obligations corporate IG. Dans ce cadre, les taux longs d’États sont capés que ce soit aux Etats-Unis ou en zone euro notamment en Europe du Sud.
Toutes ces réponses massives et coordonnées sont au coeur de notre scenario central (65%) dans lequel le choc extrême est contenu, permettant d’envisager un rebond de l’activité au dernier trimestre 2020. Néanmoins dans notre scenario adverse d’aggravation de la crise sanitaire notamment aux États-Unis et/ou de soutien inefficace des gouvernements et banquiers centraux, l’arrêt de l’activité se prolonge alors de deux ou trois trimestres. Cela justifie nos allocations actuelles : nous revenons prudemment et progressivement sur les actifs risqués.
Nous restons confiants dans la sortie de crise et dans la capacité du monde à renaître en s’appuyant sur un modèle de développement plus durable. Des problématiques restent en suspens à moyen terme. Qu’adviendra-t-il de l’énorme dette détenue par les banquiers centraux ? Comment conjuguer relocalisation et maintien des frontières ouvertes ? Retenons déjà que les solutions proviennent plus des coopérations et partages d’informations pour tirer les leçons de chaque expérience que chaque pays vit successivement. Souhaitons que les reprises de risques se fassent en priorité sur les investissements qui privilégient le caractère durable de nos économies pour préserver l’avenir des générations actuelles et futures.
Les scénarios financiers à 3 mois au 26 mars 2020
Scénario Central : Les mesures des gouvernements et des banquiers centraux contiennent le choc extrême
Scénario alternatif 1 : Aggravation de la crise sanitaire et/ou soutien inefficace des gouvernements et banquiers centraux
MARCHES DE TAUX
QUE DOIT-ON ATTENDRE DE LA PART DES AGENCES DE
NOTATION ?
La propagation de l’épidémie de Covid-19 hors de
Chine fait peser depuis quelques semaines un risque
considérable sur l’économie mondiale ainsi que sur les
fondamentaux de crédit des émetteurs privés. Quid de
la réaction des agences de notation dans ce contexte ?
Accusées de complaisance méthodologique sur des
opérations structurées avant la crise financière de 2008,
elles ont été à l’inverse montrées du doigt pour avoir
fortement aggravé la crise souveraine européenne en
2011 avec des dégradations violentes de plusieurs notes
sur certaines notes souveraines. Elles devraient, selon
nous, tenter de trouver un juste milieu lors de cette crise.
Les secteurs en 1ère ligne ont essuyé les 1ères dégradations
(compagnies aériennes, tourisme, transport, distribution)
et les noms dont le maintien de la note était déjà tangent
ont été sanctionnés sans surprise. Les dégradations
se limitent dans la grande majorité à une note mais
nous observons que les notes sont maintenues sous
surveillance négative ce qui signifie qu’elles risquent
d’être dégradées de nouveau rapidement. Des réactions
par conséquence mesurées mais qui suivront l’évolution
de la crise, les agences ne souhaitant sans doute pas être
taxées de laxisme cette fois ! Nous anticipons au global
un glissement des notations du « BBB » au « BB » (Ford,
Lufthansa et Marks & Spencer sont les nouveaux fallen
angels) et du « BB » au « B » (TUI, Goodyear) avec un risque
idiosyncratique à surveiller sur le bas HY !
TAUX ÉTATS-UNIS
LA FED DÉGAINE UN PLAN SANS PRÉCÉDENT
En anticipation des sévères perturbations qui
vont affecter l’économie américaine en raison de
la propagation de l’épidémie, la banque centrale a
frappé fort. Cette dernière a annoncé lundi dernier
des rachats sans limite de toutes sortes de créances
publiques et se prépare à aussi à racheter des
créances d’État américain, de collectivités locales et
d’entreprises privées. Tous les records de 2008-2009
sont largement battus. Jamais la Réserve fédérale
n’était allée aussi loin. Sur la période, les taux 10 ans
US baissent sensiblement de 70 pb à 0,726 %.
SHARE BUY BACK AUX ÉTATS-UNIS EN 2020 ?
Le graphique ci-dessous rappelle les programmes de
rachats d’actions des entreprises américaines pour 2018 :
811 $Mds pour 2018, 710 $Mds pour 2019 et 675 $Mds
pour 2020.
Mais entre-temps la crise du Coronavirus impose aux
entreprises de garder un maximum de cash disponible
pour la production courante et donc de limiter le paiement
de dividendes et les programmes de rachats d’actions.
Fed et SEC ont demandé aux 8 plus grosses entreprises
financières du pays de stopper leurs programmes
d’achats d’actions 2020 jusqu’à nouvel ordre (JP Morgan,
BoA Merill Lynch, Citigroup, Wells Fargo, Goldman Sachs,
Morgan Stanley, Bank of New York et State Street soit
200 Mds $ en suspens) et le gouvernement ne versera son
aide financière qu’aux entreprises qui feront de même…
On a donc perdu l’acheteur en dernier ressort de titres
américains sur les cinq dernières années et la machine à
faire croitre artificiellement les bénéfices par action.
Partout dans le monde les aides d’État se feront sous
conditions similaires … C’est donc un choc à court terme
mais une bonne chose à moyen terme… après la digestion.
TAUX EURO
QUOI QU’IL EN COÛTE
En deux semaines la BCE a fait sauter de nombreux
verrous de sa doctrine pour soutenir la zone euro très
fragilisée par la crise du Coronavirus. Elle déploie donc
un arsenal monétaire (PEPP) consistant en un vaste
plan de rachats d’actifs de près de 1000 milliards
d’euros pour soutenir les entreprises pendant cette
pandémie. Le 10 ans allemand progresse néanmoins
de 11 pb à -0,47 % alors que le 10 ans italien (foyer de
l’épidémie en zone euro) progresse de 38 pb à 1,47 %
et le taux 10 ans espagnol de 23 pb à 0,23 %.
MARCHES ACTIONS
INCERTITUDES SUR LE MAINTIEN
DES DIVIDENDES 2020
En pleine crise du Covid-19 les voix se multiplient pour
demander aux entreprises de renoncer aux paiements des
dividendes 2020. Où en sommes-nous aujourd’hui :
• La BCE, ainsi que l’ACPR en France, ont demandé le 27
mars aux établissements financiers de ne verser aucun
dividende avant le 1er octobre 2020, afin que ces
derniers « préservent des ressources en capital pour
pouvoir soutenir l’économie réelle ».
• Le 19 mars c’était l’Autorité Européenne des
Assurances et des Pensions Professionnelles qui
invitait fermement à la plus grande prudence dans le
paiement des dividendes afin de protéger les ratios de
solvabilité.
• Outre les autorités de tutelle, les gouvernements sont
également à la manoeuvre. Du côté français le ministère
des finances a interdit aux entreprises bénéficiant
de report de charges ou des mesures de chômage
partiel de verser des dividendes. Les gouvernements
allemands et italiens semblent lui emboiter le pas.
• Enfin les difficultés actuelles impactent directement
les secteurs de l’énergie, des télécoms et de
l’automobile également grands pourvoyeurs de
dividendes.
Dans ce contexte, environ 25 % de la capitalisation
boursière de l’Eurostoxx 50 n’est potentiellement plus
à même de payer ses dividendes. Or ces 25 % sont les
plus « gros » pourvoyeurs de dividendes de la cote. En
conséquence les contrats sur dividendes pricent une
baisse des dividendes de 60 % et un très lent retour à la
normale.
ACTIONS ÉTATS-UNIS
SÉVÈRE RÉCESSION À L’HORIZON
Aux États-Unis, l’impact brutal de la pandémie de
Coronavirus sur l’activité économique et celle des
entreprises va faire basculer l’économie dans la
récession et menace des millions d’emplois américains.
Elle va conduire à des perturbations dans l’activité
profondes et étendues. Certains estimant même que le
PIB américain pourrait se contracter entre -12 % et -30 %
en rythme annualisé. L’ampleur de la récession dépendra
bien entendu de la vitesse de propagation du virus et de
la durée du confinement. Le S&P 500 cède sur le mois
–12,31 %.
ACTIONS EUROPE
EFFONDREMENT DES INDICATEURS ÉCONOMIQUES
L’indice PMI en zone euro s’est littéralement effondré au
mois de mars avec un indicateur qui passe de 51,6 à 31,3 ;
la plus forte baisse jamais enregistrée depuis la création
de la statistique en 1998. La France et l’Allemagne
contribuent évidemment fortement à cette baisse, un peu
plus pour la France en raison de mesures de confinement
plus sévères. Ces statistiques baissent encore plus
fortement en Italie et en Espagne. Au cours du mois
écoulé l’Eurostoxx baisse très fortement de –16,16 %.
ACTIONS ASIE
REBOND SURPRENANT DES INDICATEURS EN CHINE
En Chine, les dernières statistiques publiées, à la surprise
générale, indiquent un rebond très marqué de l’activité
manufacturière et des services qui repassent au-dessus
de la barre des 50. L’économie a semble-t-il fortement
redémarré alors que l’outil de production n’est pas
totalement rétabli. Au Japon, la situation économique
continue d’empirer avec des dégradations très marquées
de la plupart des indicateurs qui retrouvent, pour
certains, les niveaux observés lors du tremblement de
terre de 1995. Le Topix résiste bien en ne cédant que
-5,96 % sur la période alors que le MSCI AC Asie Pacifique
hors Japon baisse de –13,94 %.