Par Matthieu Bailly, directeur général délégué et gérant obligataire – octo Am
La semaine passée pourrait bien marquer le tournant que nous suggérons depuis plusieurs mois, aidé par l’illiquidité de l’été…
Ce tournant concerne essentiellement la pente de la courbe et la contagion de la hausse des taux et de l’inflation, qui ne touchait pour le moment quasiment que le marché obligataire, aux autres actifs.
La fin du semestre marque tout d’abord une pause dans les programmes d’achats institutionnels, qui ont pour la plupart souhaité profiter de la hausse des taux rapidement et significativement après des années de disette. Ces institutionnels, ayant souvent dégradé au fil de la baisse des taux de la décennie 2010, la qualité de leurs actifs et leur adossement actif/passif en étant très court en duration, ont essentiellement effectué leurs achats, durant les mois passés, sur des obligations de haute qualité et de maturités longues, notamment des obligations d’Etat, bénéficiant d’un coût nul en capital, quelle que soit leur notation.
Vu les masses en jeu si l’on additionne assureurs, mutuelles, caisses de retraites et fonds de pensions, on peut imaginer que ces achats réguliers compensant en un semestre plusieurs années de disette, aient pu limiter la hausse des taux longs et contribuer au maintien de taux longs plus bas que les taux courts, en dehors de toute considération d’analyse économique. Il ne s’agissait là que de comptabilité, de réglementation et d’achat d’un taux absolu au-delà de 2% que les institutionnels n’avaient plus vu depuis plusieurs années.
Cette force de rappel des taux longs ne durera que le temps des programmes d’achat de compensation, dont on peut imaginer qu’ils ont été décidés fin 2022 pour une exécution prioritaire début 2023.
L’abord du S2 2023 marque également l’accentuation de la réduction des bilans de banques centrales, deuxième outil de la lutte contre l’inflation après la hausse des taux courts. Ce facteur concernera lui aussi les obligations de haute qualité, et même essentiellement les obligations d’Etat européens, c’est-à-dire les mêmes actifs que ceux tirés également à la hausse par les investisseurs institutionnels depuis quelques mois.
Enfin, si les banques centrales approchent probablement de la fin de leurs hausses de taux courts, elles vont maintenant s’atteler à asséner, réunion après réunion, qu’elles ne les rebaisseront pas de sitôt, et surtout pas aux niveaux pré-covid. Ainsi, alors que les marchés anticipaient un retour à « leur normale » de la décennie 2010 et espéraient que les banques centrales soient aussi hyperactives qu’eux, celles-ci risquent de décevoir leurs espérances et créer un nouveau cycle d’une décennie durant laquelle l’économie, plus inflationniste à cause de nombreux facteurs (sociaux, environnementaux, politiques, géopolitiques), nécessitera une politique opposée à celle qu’elle avait connu auparavant. On avait pu observer par le passé qu’il fallait beaucoup de temps pour qu’une politique de banque centrale infuse dans l’économie, voire même qu’il faille finalement un évènement exogène comme déclencheur, pourquoi les choses auraient-elles changé.
L’été pourrait donc voir une hausse significative des taux longs, entraînant, comme d’accoutumée une crispation du marché sur tous les actifs pendant quelques semaines et des corrections importantes. Par exemple, si le taux 10 ans Bund devait rejoindre le taux BCE, il devrait s’écarter de 140 points de base, soit une baisse de valorisation des obligations afférentes d’environ 8 points. Si ce scenario est probablement exagéré sur quelques semaines, il donnera cependant à nos lecteurs une borne plancher de court terme en cas de stress.
Une telle chute entraînerait probablement une forte illiquidité sur tous les segments obligataires et des chutes de valorisations inégales entre les segments. Comme en 2022 ou en mars 2023, les premières obligations touchées seraient les obligations longues et de haute qualité de crédit (attention en ce sens aux obligations « Green » souvent très longues et concernant les entreprises les plus solides et les mieux notées par les agences). Le segment high yield, bénéficiant d’un coussin de portage et d’une duration naturellement plus courte serait lui plus touché par l’illiquidité que par des baisses de prix. Il est donc selon nous, comme depuis plus d’un an, le segment à privilégier pour le moment mais il faudra être certain de ne pas à avoir à réaliser des cessions forcées en cas de stress car celles-ci pourraient coûter cher… Pour ce faire, nous conseillons donc 1/ une forte granularité permettant d’éviter le risque idiosyncrasique, 2/ un échéancier équilibré, 3/ une analyse fondamentale solide pour passer les trous d’air en toute sérénité, 4/ une communication accrue pour préserver son passif, 5/ une proportion de cash légèrement supérieure à ce qu’on pouvait avoir durant le premier semestre.
Le positionnement actuel de notre fonds flexible Octo Crédit Value répond ainsi à cette lecture des marchés avec :
un positionnement à 70% high yield
une cession récente de quelques dossiers trop cycliques et/ou trop sensibles aux variations de marché, notamment le secteur de la chimie ou du retail
une duration inférieure à 3 pour un portage de 8.5%
une couverture sur les taux, entamée début juillet et composée essentiellement de positions longues sur le deux ans (point le plus haut de la courbe et lié aux taux BCE qui atteignant leur plafond) et de positions courtes sur le 5 et le 10 ans (qui pourraient le plus s’écarter et permettent de couvrir nos obligations sur ces maturités)
une absence d’obligations longues de haute qualité, trop liées aux taux d’Etat, hormis quelques subordonnées bancaires Tier 2 dont les primes sont élevées actuellement et qui permettent de compenser la volatilité potentielle
une trésorerie légèrement inférieure à 10% (contre 3% à 4% au cours du S1), rémunérée désormais autour de 3% et permettant d’absorber la volatilité tout en profitant d’opportunité en cas de stress important.
En résumé, nous considérons que la tendance du premier semestre, avec une forte volatilité sur les taux et une certaine résilience des entreprises, pourrait s’accentuer durant la période estivale en raison de l’illiquidité du marché. Ayant observé, au cours du premier semestre, que le positionnement du fonds, plus court et plus crédit que les indices, nous avait permis, ainsi qu’à nos investisseurs, de passer cette période sereinement et avec un complément de performance pour une moindre volatilité, nous accompagnons cette potentielle accentuation des tendances de fonds durant l’été, par une légère accentuation de notre différenciation face aux indices.